Natacha PENEAU
Sommaire des textes
Une journée
particulière
Les bons points
Départ en suisse
UNE JOURNEE PARTICULIERE
par Natacha
Péneau
C'est dur la vie, surtout
quand c'est une journée particulière ! J'ai appris à
m'en méfier... Dés mon réveil ma grand mère
m'annonce: "- Aujourd'hui est une journée exceptionnelle
!" Cela voulait dire en clair : attention toute ta vie va être
perturbée, plus de tour de patinette, ni d'amies, ni même
de ces jeux tranquilles que j'organise dans ma chambre : collant des
coquillages, ou jouant avec la boite à boutons que grand mère
me prête parfois et qui est remplie de tant de merveilles, entre
le petit bouton de nacre et ce gros en plastique tout noir sorti d'un
conte d'horreur et que je mets tout de suite avec les méchants
Gros soupir
Pendant que grand mère s'affaire dans ma chambre, ouvre les volets
prépare des vêtements inconnus, oubliés, mais certainement
pas sympathiques
"Dépêche-toi ! Aujourd'hui
tu dois être parfaite !"
Le mot est lâché
synonyme de martyre
mais je
sais que je dois passer par toutes ses volontés, si je ne suis
pas parfaite, je serais privée de voir ma mère le jour
fixé pour sa visite
(papa et maman s'aiment beaucoup mais
ne vivent pas ensemble, cela arrive parfois m'a-t-on dit).
Donc je ferai mon possible, mais croyez vous que les grandes personnes
sont sensées ?
M'annoncer dés mon réveil une exigence de perfection sans
me dire ni pourquoi, ni comment !
Vraiment, grand mère ne comprend rien aux petites filles de quatre
ans et demi
Je m'habillais en hâte, puis ce fut la bousculade : un petit déjeuner
bâclé, et la révision de mes récitations
! j'étais habituée, au cours d'écriture et de lecture
distillé tranquillement sur la table de la cuisine, mais ce n'était
sûrement pas l'heure de la récitation !
"Bien, bien" me dit elle, après que j'eus ânonné
les deux poésies que j'apprenais déjà depuis un
certain temps ! "Maintenant reste sage"
que pouvais-je
faire d'autre affublée d'un " sarafane " costume d'une
princesse russe au moyen âge ! dont les bretelles jouaient sur
mes épaules, en plus je piétinais ma jupe au moindre pas
il faut glisser par terre m'a-t-on dit, et non marcher ! Avez-vous vu
une petite fille ne pas marcher ou courir quand un besoin pressant se
faisait sentir ?
J'attendis la suite des événements, Papa vient nous chercher
avec son taxi
Après avoir roulé longtemps dans les
rues de Paris, moi parlant toute seule : personne ne voulant m'écouter,
ni même me répondre ! c'était frustrant
"Par
derrière, dit grand-mère, nous allons directement dans
les coulisses"
Nous traversâmes des couloirs sales, Grand mère était
énervée au dernier degré sans que je sache pourquoi
avais-je failli à la "perfection" ?
Et puis tout à coup je fus propulsée en avant sur une
scène, me retrouvant éblouie par les lumières,
quelqu'un me soufflait d'avancer encore, ce que je fis
Une annonce
sortit de nulle part :
"Voici Natalia Alexeievna Bournacheva, dans
. de Pouchkine
"
Je restais sans voix
La première strophe me fut soufflée de la salle
je la reconnus, m'en emparais et continuais avec vigueur prenant mon
souffle aux points, faisant une légère pause aux deux
virgules, respectant le rythme
et la rime. J'allais jusqu'au bout de cette interminable poésie
que l'on m'avait inculquée depuis des semaines
Les applaudissements
fusèrent de tous cotés me faisant comprendre que c'était
fini
Quelqu'un me prit sur ses épaules et je me retrouvais
dans la salle passant de mains en mains la peur au ventre, j'étais
si loin du sol !
J'avais le vertige, la nausée et presque les larmes aux yeux
!
Où était grand-mère ? Je l'aperçus sur scène
couverte de fleurs souriant de toutes ses dents, apparemment elle est
contente de moi
Je verrai Maman Dimanche
Je fus posée à terre et ravie de retrouver le plancher
des vaches ainsi que mes petites amies devant un superbe buffet dressé
dans un jardin.
Ce fut une journée particulière
ma première
apparition sur une scène de théâtre.
par Natacha
Péneau
Je fus très impressionnée quand j'ouvris la porte à
deux gendarmes en uniforme bien guindés
"- Grand-mère, grand-mère, c'est pour toi !"
m'écriais-je . Etant sûre que c'était pour elle
et non pas pour moi ! Elle accourut légèrement essoufflée,
commença à parlementer et m'envoya immédiatement
dans ma chambre. M'ayant repéré dans un coin essayant
d'écouter la conversation
elle râla. J'allais dans
ma tanière, traînant les pieds
avez-vous remarqué
comme les grandes personnes ont toujours tendance à vous mettre
de côté dés qu'une chose imprévue arrive
et voilà ! le soir je fus envoyée à nouveau dans
ma chambre après le dîner
Les adultes tiennent des conciliabules à des heures pas possible
!
C'est le moment où habituellement, grand-père me lit
un conte de Pouchkine, moi blottie sur son divan
Malgré
tous mes efforts je finis toujours par m'endormir ; je sens qu'il
m'emporte dans ses bras sur mon lit où je peux finir ma nuit
jusqu'au lendemain l'âme en paix
Une soirée bouleversée, je prends mon nounours à
qui je raconte tous mes malheurs !
Dés le matin grand mère très énervée
m'emmène dans un magasin essayer d'horribles blouses noires
. Elle les voulait absolument longues , car ce n'est pas séant
pour une fillette de bonne famille de porter des vêtements au
dessus du genou
et blablabla et blablabla
A vrai dire je ne comprenais pas grand chose à cette conversation
car le français était interdit à la maison
où nous ne parlions que russe
"- Elle aura toujours le temps d'apprendre le français,
disait Grand-mère, mais le russe ?
Au moins elle ne perdra
pas ses racines !"
Je ne suis pas un arbre et je n'ai pas de racines
comment ferai-je
pour courir aussi vite ?
Faire du patin à roulettes ? etc..., etc... Mais je pense qu'il
fallait mieux me taire, l'humeur était au noir fixe...
" - Demain tu te lèves de bonne heure. Tu iras te coucher
aussitôt après le dîner."
Malgré le regard suppliant jeté à Grand-père,
rien n'y fit
Encore une soirée de perdue !
Le lendemain affublée
de cette horrible blouse me traînant aux mollets, mes nattes
bien tressées nous attendions dans l'entrée : quoi ?
Coup de sonnette : les gendarmes d'hier !
Grand mère
mit ma main dans la leur en me disant que
je devais les suivre
"C'est la loi ! L'école obligatoire
à l'âge de sept ans." dit un des gendarmes.
"- C'est contre mon gré, leur dit-elle. Je donne à
ma petite file une éducation parfaite."
Je suivis assez confiante. Les deux gendarmes qui m'emmenèrent
devant un établissement gris, sale, et loin d'être accueillant,
là mon cur s'est mis à battre et je serrais très
fort la main qui me tenait. La porte s'ouvrit et l'on me poussa gentiment
à l'intérieur de ce que l'on appelle - école
communale -.
Des jeunes filles s'emparent de moi et me conduisent dans une classe
où tous debout attendent la maîtresse.
Je ne comprenais rien
levais la main avec les autres, probablement
à contre courant, ce qui suscitait de grands éclats
de rire
j'ai retenu mes larmes jusqu'à la récréation.
La porte menant à la sortie était entre ouverte et je
pris mes jambes à mon cou pour me sauver au plus vite
La place du Petit Ménage à traverser, après,
tout droit et je me retrouverais à la maison !
Hélas les grandes filles coururent derrière moi, beaucoup
plus vite elles me rattrapèrent en riant. J'ai eu juste le
temps de traverser la place !
Je fus emmenée dans le bureau de la directrice, qui tant bien
que mal m'expliqua le fonctionnement de l'école
Je compris
qu'à 16h30 je serai à nouveau libre de rentrer chez
moi
de son côté elle constata que je n'étais
pas complètement ignare
Voyant que je connaissais les chiffres, elle essaya les lettres ce
fut plus compliqué car je savais lire et écrire en cyrillique
mais je ne connaissais pas l'alphabet latin. Beaucoup de lettres se
ressemblent, je lui montrais celles qui m'était familières.
Le résultat fut probant. Je fis trois classes en une année
pour me mettre à niveau
Parmi les élèves je n'ai pas eu de camarades
Etrangère
ne parlant pas la langue, habillée d'une façon clownesque,
avec deux longues nattes qui balayaient mes fesses et sautant les
classes en cours d'année donc "chouchoute" quelque
part !
L'école de la vie fut rude
pour moi !
Grand père venait me chercher tous les samedis pour m'emmener
faire quelques tours de manège et je rentrais le tenant par
la main me sentant fière et protégée
Dans une des classes la maîtresse donnait des images pour bonne
conduite, cela n'a pas fait mouche à la maison. Par contre
dans la classe suivante ce furent les bons points qui nous servirent
de récompense
Grand -mère pensa certainement que
c'était plus sérieux et digne d'intérêt
Une semaine j'en récoltais dix, quantité énorme
!
Grand-mère m'annonça que désormais il lui fallait
dix bons points par semaine si je voulais voir ma mère!
j'ai eu beau lui expliquer que c'était impossible
mais
rien n'y fit. La semaine suivante j'ai appris par cur toutes
mes leçons, je m'appliquais au maximum, j'arrivais même
à me tenir tranquille sans bavarder entre les cours ce qui
pour moi était le plus difficile mais le plus grand des sacrifices
J'ai eu quelques bons points mais pas les dix
Gand mère
comprendra, elle aura pitié, elle ne me privera pas de Maman
!
Quand j'eus étalé ma maigre récolte de bons points
devant ma grand mère :
"- Bien bien
" me dit elle, "dimanche tu n'iras
pas chez ta mère !"
A vrai dire, je pensais qu'elle changerait d'avis
Guettant par
la fenêtre je vis ma mère traverser la rue. Un peu plus
tard la sonnette retentit dans l'appartement
j'attendais dans
ma chambre espérant à chaque instant que Grand-mère
m'appelle ! La porte palière claqua et mes larmes coulèrent
sans aucune retenue
Je vis ma mère retraverser la rue
puis s'arrêter et me voyant à la fenêtre du premier
étage elle me fit de grands signes
je ne pouvais plus
retenir cette fontaine de larmes, et lui envoyais de grands baisers
à travers les vitres embuées de mes pleurs
J'aurai mes dix bons points la semaine prochaine !
Lundi l'école recommença et je refis les mêmes
efforts pour gagner quelques bouts de cartons
verts qui seraient la permission de voir maman
une journée
de bonheur pur et tant attendue. Vendredi à nouveau quatre
ou cinq bons points, pas un de plus
à la récréation
je me faufilais dans la classe et sans honte, morte de peur, je plongeais
mes doigts dans le cartable de ma voisine
dans sa petite boite
en fer blanc, il y avait les bons points manquants
Je les pris sans vergogne
et me précipitais dans la cour
de récréation me mêlant aux autres élèves
Le soir j'étalais mes dix bons points sur la table de la cuisine.
"Tu vois, quand tu veux tu peux
" ; "Voleuse"
murmura ma conscience
Mais je vis Maman le lendemain
27/10/01
DEPART EN SUISSE
par Natacha Péneau
Je fus réveillée
en pleine nuit. Habillée à la hâte, trop chaudement,
mon esprit engourdi par mes rêves me donnait l'impression d'être
dans du coton
un immense tas de coton d'où je n'arrivais
pas à émerger.
Grand mère donnait des ordres que je ne comprenais pas. Enfin
je suis dans le taxi de papa ou tranquillement je pouvais continuer
ma nuit.
Nous voici arrivés, on m'extrait de la confortable voiture, comme
un baluchon : Gare du Nord, un bruit infernal, les gens courent dans
tous les sens, moi je suis le mouvement qui m'est imposé
Voilà notre wagon, recherche du chef de train, on me prend et
me fourre dans un compartiment j'ai un petit paquet sur les genoux,
et une grande pancarte autour de mon cou sur laquelle sont écrits
mon nom mon prénom avec des lettres inconnues
"- Sois-bien sage", me dit grand mère, "le Monsieur
en uniforme te fera sortir du train à Genève où
l'on viendra te chercher."
Je restais seule
le train se mit à bouger, Papa et grand
mère restèrent sur le quai de la gare me faisant des grands
signes d'amitié me semblait-il !
Ce fut mon premier voyage, j'avais quatre ans et quelques petits mois
en plus
je n'avais aucune crainte.
Seulement je n'avais plus envie de dormir
22/05/01
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