SOMMAIRE
Le chantre enchaîné
Comme on s'aime
Le cri
Ma dame
Epitaphes
La fleuriste
Les fontaines
Les laissés-pour-compte
Tes larmes
Lettre de l'autre monde
L'Oasienne
Le Marin de Paris
La Rhapsode
LE CHANTRE ENCHAÎNÉ
Un poète est un monde enfermé dans un
homme.
Victor HUGO
Je m'aventure dans des contes
Dans des fables dans des romans
J'y joue j'y tue j'y meurs j'y mens
Je m'y désenchante à bon compte
Côté
cour et côté jardin
Je décoche des épigrammes
J'épice à ma mode les drames
Je fais la joie des baladins
J'entre à cloche-pied
dans des rondes
Je laisse mes tristes rondeaux
Je ne sens plus mon lourd fardeau
J'oublie mes printemps sans arondes
Aux moulins j'apporte
mes seaux
Aux fontaines mes grandes odes
Mes fleuves gris mes épisodes
Mes rus mes murmurants ruisseaux
Je marche dans une
ballade
Au bras d'une Grisélidis
Les belles dames de jadis
Mettent mon cur en marmelade
L'amour s'en vient
l'amour s'en va
L'amour toujours est en réclame
Je brode des épithalames
Sur un fond sombre de java
Je pleure sur vos
élégies
Pierre Ronsard André Chénier
Les fleurs poussent sur les charniers
Et sous nos semelles rougies
Sans peur des rats
ni des ragots
Je traîne dans des rhapsodies
Pour nourrir mon bel incendie
J'ai du vin rouge et des fagots
Je vague dans des
odyssées
En quête d'un eldorado
Ma guitaronne sur le dos
Et sur la lèvre une pensée
La rote accompagne
mes lais
Et j'empoisonne l'existence
Des muses folles de mes stances
A leur sein je suce un doux lait
Je titube dans l'épopée
Je meurs de la mort de Roland
Un cor au pied un coup au flanc
Je bois ma dernière lampée
Je cours dans mes
rêves d'enfant
J'y retrouve une sonatine
Une berceuse une comptine
Et la plainte d'un olifant
1999

COMME ON S'AIME
Comme on s'aime nous
Comme on s'aime
Nous on s'aime nous
Nous on s'aime
A Dunkerque où l'hiver gerce les amoureux
A Venise où l'amour nous mène en barcarolle
A Sorrente où la mer nous soûle de paroles
A Crémone où le vent violone un air pleureux
O ma coque de noix qu'une haleine
démâte
Je rêve dans ta voile et je suis ton Vasco
Un vieil accordéon se souvient de Carco
Sur les quais sur les ponts trottent des automates
Comme on s'aime nous
Comme on s'aime
Nous on s'aime nous
Nous on s'aime
A Grenade où je sors dans ta nuit flamenca
A Catane où des mots de lave nous carminent
A Pergame où la mort vieux jeu nous parchemine
A Calais où le spleen s'agrippe à ta parka
O ma viole de gambe où est
ta chanterelle
Je rêve sur ta hanche et je suis ton archet
Aux terrasses fleuries on vide des pichets
Montmartre après la pluie montre ses aquarelles
Comme on s'aime nous
Comme on s'aime
Nous on s'aime nous
Nous on s'aime
A Paris
1993

LE CRI
Lorsque je t'ouvre à deux battants
Avec la peine tu m'apportes
Les gaîtés de ta ville morte
Et le cri de la nuit des temps
Tu m'apportes le cri de la
forêt allée
Avec toute une armée de rouges charpentiers
D'ocreux septembriseurs de safres papetiers
Tu m'apportes le cri de la
mer égueulée
Des mousses qui se font des fantômes de rien
Des sirènes du sud prises des galériens
Tu m'apportes le cri des guitares
mêlées
Aux tépides et longs soupirs des soupiraux
Et des quémands sans yeux couchés sur le carreau
Tu m'apportes le cri des avoines
foulées
Sous les sabots fringants des chevaux de Marly
Qui fox-trottent parfois à la mitan du lit
Tu m'apportes le cri de ta
guenille ailée
Le cri le dernier cri de chez le bon faiseur
Ma barque dans le vent ma féale ma soeur
Tu m'apportes le cri de la
joie empalée
Sous la loque de nuit des filles barbelées
Lorsque je t'ouvre à
deux battants
Avec la fête tu m'apportes
Les bagatelles de la porte
Et le cri de la nuit des temps
Mai 1979

MA DAME
Tes linges sur le port sèchent
comme des larmes
Et je reviens de loin sans bagage et sans arme
Vous en souvenez -vous
Ma Dame
Qui me prenez le bras sur notre promenade
Vous en souvenez-vous de nos nuits à Grenade
Vous portiez des bas noirs
Vous usiez les miroirs
Ma Dame
Vous en souviendrez-vous
La Mer me confiait ses chants
et son riche ambre
J'emportais ses parfums et ses cris dans ma chambre
Ma voisine ânonnait ses gammes au piano
J'avais pour m'apaiser les dés les dominos
Les platanes étaient
pleins de conciliabules
Et les tramways tendaient la perche aux funambules
Mes muses effrontées en travers de mon lit
Riaient aux Anges de Melozzo da Forli
J'avais un stylographe or à
griffe rentrante
Un Larousse fané venu des années trente
Des cahiers d'écolier des livres arrogants
Une pipe de buis une lampe d'Argand
Ma Dame
Vous en souvenez-vous
Ma Dame
Qui me prenez le bras pour traverser la vie
Vous en souvenez-vous de nos nuits à Pavie
Vous portiez des bas noirs
Vous usiez les miroirs
Ma Dame
Vous en souviendrez-vous
Déjà le vieux
Paris taillait mes quatre veines
Mon sang d'encre coulait sous les ponts de la Seine
J'allais fidèle au noir un foulard rouge au col
Les cheveux en bataille et dans la poche Alcools
Quand Paris m'éclairait
ses lanternes tragiques
Que la Mer me poissait sur les pavés magiques
Je cassais des décors des styles des sabots
J'emmenais mes béguins sur le pont Mirabeau
Vous en souvenez-vous ma Dame
vous en prîtes
Du temps pour effeuiller mes champs de marguerites
Je traînais sur les quais les trois quarts de la nuit
Déjà j'étais doué pour le songe et l'ennui
Ma Dame
Vous en souvenez-vous
Ma Dame
Qui me prenez le bras pour traverser l'Automne
Vous en souvenez-vous de nos nuits à Cortone
Vous portiez des bas noirs
Vous usiez les miroirs
Ma Dame
Vous en souviendrez-vous
Tantôt nous dormirons
ensemble dans la cale
D'un navire vêtu de tulle et de percale
2002

ÉPITAPHES
Notre monde est plein d'épitaphes
Et je le cours pour m'émouvoir
Les capitaines les matafs
D'eau douce de bateau-lavoir
Ne sont pas près de me revoir
Nous sommes vos fils
vos entrailles
Fauchés dans les coquelicots
Dans les blés gourds sur la muraille
Nous chantions sous des calicots
Ci-gisent sous la
brume grise
Trente-six balles dans la peau
Des anges la bouche en cerise
Ils n'ont ni fusils ni drapeaux
Ci-gisent sous trois
pieds d'argile
Des bonnes des petites gens
Sans une phrase d'évangile
Sans un mot d'or un mot d'argent
Ci-gisent -le nombre
est de taille-
Mille pelés mille poilus
Et trois cents chevaux de bataille
Sous l'herbe noire des talus
Ci-gît une armée
en déroute
Sans voix sans vivres sans barda
Sur le grand pré les moutons broutent
La barbe dure des soldats
Dormez en paix sous
les victoires
Sous les défaites combattants
Dans nos tristes livres d'Histoire
Vous et moi perdons notre temps
C'est là que
gisent les Quarante
A quatre pas du pont des Arts
Nous chantres n'avons point de rentes
Pour reverdir notre bazar
On me troue comme
une écumoire
On me crève comme un canon
Au front du temple de Mémoire
Je ne veux pas rougir mon nom
Je m'éveille
entre quatre planches
On vous a mis ablativo
Tous en un tas dans ma nuit blanche
O mes aminches mes gavots
Nous étions
las de l'existence
Nous sommes là main dans la main
Plus rien n'avait de l'importance
Nous avions fait notre chemin
Comme on dit sur la
Canebière
Il était bon comme le pain
Hier au comptoir humant sa bière
Et là dans son frac de sapin
Ci-gît dans
sa boîte à malice
Ravi à l'affection des siens
A trente lieues de sa complice
Un thaumaturge un magicien
Qui gît sous
cette molle terre
Devinez Un homme qui fut
Mauvais coucheur bon locataire
Sa grosse caisse sent le fût
C'est là sous
les flots en goguettes
Que gît l'Invincible Armada
Ma fée tire de sa baguette
Des tempêtes de résédas
Dans ces ruines de
porcelaine
Dorment mes pauvres éléphants
Un vent gris et léger halène
Il pleure comme l'olifant
Je suis sous deux
empans de sable
On a écrit sur mon parpaing
Ci-gît un être impérissable
Il égrénait du Richepin
"Voilà
ma vie, ô camarade !
Elle ne vaut pas un radis
Ça commence par une aubade
Ça finit en De Profondis !"
Je gis et vous entre
deux âges
Que ferez-vous de vos vieux os
Quand vous n'en n'aurez plus l'usage
De la poudre pour les oiseaux
J'erre dans mes contrées
en cendres
Mes mies ne s'y promènent point
Sur leur ciel bas de palissandre
Mes morts parfois tapent des poings
Notre monde est plein
d'épitaphes
Et je le cours pour m'émouvoir
Les capitaines les matafs
D'eau douce de bateau-lavoir
Ne sont pas près de me revoir
1999

LA FLEURISTE
"Au bois d'Clamart
y a des petit's fleurs
Y a des petit's fleurs
Y a des copains au,au bois d'mon cur,
Au,au bois d'mon cur."
Georges BRASSENS
La couverture est en lézard
Ce livre garde une pensée
Les larmes d'une fiancée
Sur un poème de Ronsard
Un songe de mes nuits d'automne
Les rues sont pavées de pavots
Je marche dans les caniveaux
J'entends des brouhahas atones
Nous n'irons plus au bois
d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
Des ang's armés comm' des jaqu'marts
Pour trois brins d'herb' s'y font la guerre
Nous n'irons plus au bois d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
Je longe des prés vénéneux
Des prés émaillés de colchiques
Je croise des chantres bachiques
Et des vielleurs libidineux
Je hante les chemins de ronde
Je pleure le temps du muguet
Des fées l'oeil et l'oreille au guet
Font le plus vieux métier du monde
Nous n'irons plus au bois
d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
Et les trouvèr's ont r'pris l'trimard
Las des sentiers battus d'la guerre
Nous n'irons plus au bois d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
Des soldats fauchent mes jardins
Couchent mes statues sans défense
Et brisent mes secrets d'enfance
Je n'ai pour eux que du dédain
J'ouvre des champs de marguerites
Que disent ces pétales blancs
Toujours les mêmes mots troublants
Ce n'est plus ma fleur favorite
Nous n'irons plus au bois
d'Clamart
Les bll's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
La courtisane au nez camard
En a tell'ment fleuri des guerres
Nous n'iront plus au bois d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
Je vends des roses de Provins
Au coin d'une sombre venelle
Qui se souvient des ritournelles
En vogue dans les années 20
Je hèle une main sur
la hanche
Sur la bouche un coquelicot
Le fantomatique tacot
En maraude dans mes nuits blanches
Nous n'irons plus au bois
d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
J'tresse un' couronn' dans mes cauch'mars
Mon pauvre amour mort à la guerre
Nous n'irons plus au bois d'Clamart
Les bell's p'tit's fleurs n'y pouss'nt plus guère
1997

LES FONTAINES
Les filles deviennent fontaines
Dans mon repaire montmartrois
Mes muses couchent à l'étroit
Las d'Erasme d'Alain de Taine
Je ne leur fais ni chaud ni froid
Les filles deviennent fontaines
La soif me prend deux nuits sur trois
Les filles deviennent
fontaines
Vous qui ne pleurez que d'un oeil
Tantôt vous ferez votre deuil
De vos plaisirs de vos fredaines
De vos petits péchés d'orgueil
Les filles deviennent fontaines
Vous larmoierez sur mon cercueil
Les filles deviennent
fontaines
C'est ce que disent des chansons
Qu'encore aujourd'hui nous poussons
Brunes blondes rousses châtaines
Toutes toutes tant qu'elles sont
Les filles deviennent fontaines
Mais que deviennent les garçons
Les filles deviennent
fontaines
Que n'ai-je comme le rebut
Du genre humain que n'ai-je bu
En caressant ma bedondaine
Toutes les hontes Père Ubu
Les filles deviennent fontaines
Sachez-le trimardeurs fourbus
Les filles deviennent
fontaines
J'entre sans peine dans la peau
D'un fou d'un joueur de pipeau
Calembours et calembredaines
J'ai des idées dans mon chapeau
Les filles deviennent fontaines
Je vous salue monsieur Carpeaux
Les filles deviennent fontaines
C'est ce que disent des chansons
Qu'encore aujourd'hui nous poussons
Brunes blondes rousses châtaines
Toutes toutes tant qu'elles sont
Les filles deviennent fontaines
Mais que deviennent les garçons
Les filles deviennent
fontaines
Pour qui ton coeur a-t-il battu
Parée de toutes les vertus
Comme une fiancée lointaine
O ma wallace qui es-tu
Les filles deviennent fontaines
Ce n'est pas moi qui l'aurais tu
Les filles deviennent
fontaines
Que ne t'arrêtes-tu passant
La fontaine des Innocents
Aux beaux jours sur ma tiretaine
Brode des pétales de sang
Les filles deviennent fontaines
Ote ton masque grimaçant
Les filles deviennent
fontaines
C'est ce que disent des chansons
Qu'encore aujourd'hui nous poussons
Brunes blondes rousses châtaines
Toutes toutes tant qu'elles sont
Les filles deviennent fontaines
Mais que deviennent les garçons
Les filles deviennent
fontaines
Narcisse ne s'y trompe pas
Qui ne s'éloigne plus d'un pas
Pourquoi courir la prétentaine
Sur des routes semées d'appâts
Les filles deviennent fontaines
En glissant de vie à trépas
Les filles deviennent
fontaines
Poète à l'eau au pain rassis
J'emprunte mille raccourcis
Pour rejoindre l'Aiguesmortaine
De mes pensées de mes soucis
Les filles deviennent fontaines
Mon bel amour me revoici
Les filles deviennent
fontaines
C'est ce que disent des chansons
Qu'encore aujourd'hui nous poussons
Brunes blondes rousses châtaines
Toutes toutes tant qu'elles sont
Les filles deviennent fontaines
Mais que deviennent les garçons
1994

LES LAISSÉS-POUR-COMPTE
O bergères
ni vous ni vous verts céladons
Ni vous rustres tondeurs ni vous tranche-montagne
Ne vous en souciez de ces pauvres moutons
Sous la pluie noire et froide
Ne comptez plus
sur eux
Pour entrer dans vos nuits
Ne comptez plus sur eux
La Mer les a repris
Dans ses bleus pâturages
O voituriers
ni vous ni vous meneurs d'engins
Ni vous marchands de sable en panne dans les dunes
Ne vous en souciez des grands mécaniciens
Accrochés aux bourrasques
Ne comptez plus
sur eux
Pour réparer vos nuits
Ne comptez plus sur eux
La Mer les a repris
Dans ses flottes en rade
O nourrices
ni vous ni vous beaux ménestrels
Ni vous cabaretiers ni vous chanteurs des rues
Ne vous en souciez des tristes troubadours
Morfondus dans les neiges
Ne comptez plus
sur eux
Pour refleurir vos nuits
Ne comptez plus sur eux
La Mer les a repris
Dans ses champs de lavande
1999

TES LARMES
Tes larmes vont aux îles d'Hyères
Tes larmes vont aux îles d'Or
Te souviens-tu des lavandières
Qui te prenaient dans leurs bras tors
Tes larmes vont à la Provence
Tes larmes vont au castel d'If
Tes larmes sont de connivence
Avec quelque passeur tardif
Tes larmes vont aux mandolines
Sous les verts volets clos et cois
Semeur de fleurs et de pralines
T'assommeilleras-tu ou quoi
Tes larmes vont aux rives mortes
Aux murs des cités de jadis
Ne compte plus les clous des portes
J'ai les clefs du royaume d'Ys
Tes larmes vont aux galéjades
Tes larmes vont aux galets d'Ault
La Soif te sert des orangeades
Des tours de fruits de sucre et d'eau
Tes larmes vont dans les avoines
Où se recueillent les chevaux
Tes larmes vont dans les pivoines
Laver le sang des Roncevaux
Tes larmes vont aux pages tristes
De quelques merveilleux romans
D'où sort ce poignant guitariste
Ce n'est vraiment pas le moment
Tes larmes vont aux capitales
Plaindre les enfants endurcis
Sur leurs joues sèchent les pétales
De tes pensées de tes soucis
Tes larmes vont à la fontaine
Où danse autour d'un mirliton
Turlututu turlututaine
Un gai trio de marmitons
Tes larmes vont aux pastorales
Quand passe le char de Thespis
Les quatre roues sur la morale
Tu mimes le Manneken-pis
Tes larmes vont aux grandes orgues
Tes larmes vont aux voceri
Aux cathédrales qui nous morguent
Sous les pavetons de Paris
Tes larmes vont aux sècheresses
Au déluge de Deucalion
Aux sombres barques qui paressent
Et que parfois nous délions
Tes larmes vont aux oignonades
Aux odes rouges de Lorca
A l'Août trente-six de Grenade
Tes larmes vont aux Guernica
Tes larmes vont aux voix tziganes
Aux charlestons aux fandangos
Aux châteaux de la fée Morgane
Tes larmes vont aux madrigaux
Tes larmes vont aux Samothrace
Aux Brocéliande aux Oradour
Et ton coeur vole sur les traces
Des ménestrels des troubadours
1992

LETTRE DE L'AUTRE MONDE
Je suis dans les déserts les
longues caravanes
Des pélerins poussifs de la Morte-Saison
Mon entrave de bois de plus en plus me vanne
Tellement que je vois la mer à l'horizon
Je revois mes soleils les galets
qui salivent
Sous les pas des amants au bord des toccatas
Je retrouve le goût de l'oignon de l'olive
Du croûton frotté d'ail et de la polenta
Nous en avions parfois de vertes
et de roides
Nos musiciens d'amis que raclaient-ils déjà
Les filles de ma nuit éternelle sont froides
Comme aux grandes chaleurs tes carafes d'orgeat
Les gueux et les bijoux du
parvis Notre-Dame
Portent pour le plaisir le cilice et ma croix
Les doux anges ne sont que des trafiquants d'âmes
A la miséricorde illusoire d'un roi
Du Christ et de ses fins joueurs
de quinquenove
Larrons aux mains percées filous aux dés pipés
Je m'en soucie non plus que de Laure de Noves
Que des mornes drapeaux des ramas d'éclopés
Les pauvres gens enfin ont
le geste profane
La parole rude et l'âge de déraison
Les soldats n'ont plus d'yeux et leurs armes se fanent
Dans les relents vineux d'un chant de garnison
Les enfants espiègle
et adorable marmaille
Sur les dunes de chaux cueillent des osselets
Pour un décapité parlant ils se chamaillent
En lâchant à l'envi d'effrayants feux follets
Le coeur sec les habits dévorés
de vermine
Me souviendrai-je encor longtemps de nos adieux
Tu portais ce soir-là ta robe d'étamine
Celle qui m'enivra quand tu m'ouvris les yeux
Lorsque je ne dors plus ma
nuit sempiternelle
Et que la brise en fleurs m'apporte les lambeaux
De vos fêtes ma mie de sales sentinelles
Assassinent l'effraie perché sur mon tombeau

L'OASIENNE
Que de fois guenilleux mes ailes de forçat
Empêtrées dans les rets fabuleux de tes rades
Ne t'ai-je pas hélée de ma désespérade
Tandis que tu portais entre nos morts decà
Et delà mon
enfant au lied des casemates
J'artillais ma galère et mon poëme tu
Tant tes voix murmuraient Que nous chantes-tu
Sur les toits écumeux et roux de la mer mate
Je moissonne les mots
de ta moite oraison
Les laisses et les cris de tes marées salaces
Tes salives de nuit et tes mouettes lasses
De mourir à Paris prises dans ma saison
Les trompes de ma
brume attroupent tes gabares
Sous ta misaine noire un hibou veille au grain
Tes quémands à l'envi moulent mon beau chagrin
Et ma chanson d'amour dans leurs orgues barbares
Je porte tes paquets
je dénoue tes rabans
Je suis l'ange de grève à tes heures dalmates
Je repasse parfois l'instant où vous m'aimâtes
Toi tes bêtes tes gens de hune tes forbans
Les chevaux pomponnés
des vertes reverdies
S'agenouillent dès lors qu'à la ronde les voix
Voilées de nos tambours enchantent les convois
Démâtés et sanglants de la ménestrandie
Je m'esquisse à
grands coups de hache et de sanglots
Des flottilles d'esquifs et de barques démentes
Dans les cadavres noirs de mes forêts dormantes
Je passionne le chant ivre des matelots
Mes sonates rêvées
captives des carcasses
Et le slow indécent de tes scaphandriers
Puis à la croisée de tes chemins hauturiers
Je m'outre à tes brisants à tes bancs de rascasses
A tes voiles de Jouy
à tes linges à fleurs
Rouges à tes parfums gris à tes bagues sauves
A ta barge jalouse à ta traîne de mauves
Criardes à tes joies à tes grandes douleurs
Que de fois de ta
cache ardue des citadelles
Rogues de ton atoll de ton golfe orgueilleux
Ne m'as-tu pas hélé tandis qu'insoucieux
Du temps je tournaillais dans mes forêts fidèles
J'ai les feux de serments
des amants de jadis
Ton geste d'orichalque et ta parole atlante
J'ai tes peines tes pas tes oeillades parlantes
Et les phrases du guet des sentinelles d'Ys
J'écris dans
le désert la soif et la merveille
Je suis le trimardeur le fou le mousse à vif
Le vigile attentif aux récits des récifs
Le fin mousselinier des sirènes de veille
1983

LE MARIN DE PARIS
Je m'invente de longs
voyages
Mille remous mille sillages
Mille mouettes dans mes cris
Je trime je rime je rame
D'un vieux chagrin j'en fais un drame
Je suis le marin de Paris
Tantôt je gaspillais
ma jeunesse allouvie
Dans mes songes la Mort me fauchait dans un blé
Les traînées du quartier contentaient mes envies
J'avais toutes les nuits pour refaire ma vie
Je nichais sous les toits dans un sombre meublé
Quand je me joue de
ses prunelles
Quand j'élime sa ritournelle
Quand je la prends pour un violon
Que je frotte sa chanterelle
Elle n'a plus l'heure sur elle
Et ne trouve plus le temps long
Trois jours sur quatre
dans la gêne
Le cul dans sa toile de Gênes
La rue riboule des calots
Ma mie ma muse ma frangine
Ma garce ma parque gingine
Des hanches pour son matelot
Quand elle change de
visage
De toilette de paysage
Je n'ai ni regret ni remords
Ma payse mon étrangère
Ma citadine ma bergère
Réveille mes mots et mes morts
Tantôt je noircissais des pages hasardeuses
J'avais toutes les nuits pour raconter mes maux
Mon amoureux martyre à ma fine brodeuse
A la fois délurée serve enjouée boudeuse
A ma plume attentive à mes jeux de grimaud
Quand je m'embarque
sur la Seine
Couvert de ma pauvre misaine
Dans le brouillard glacial et gris
Je laisse à quai mon amoureuse
Ma belle enfant ma ténébreuse
Je suis le marin de Paris
2002

LA RHAPSODE
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Je vends des vues de Montparnasse
Et des pastels de Rosalba
Un poète cueille des roses
Et des narcisses sous mes pas
Je chante ses vers et sa prose
C'est pour son coeur que mon coeur bat
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Une fillette de vinasse
Une blague de macouba
Je suis sa soeur et sa promise
La passante de ses trépas
Je raccommode sa chemise
Et lui sers ses quatre repas
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Je suis bonne mais pas bonasse
Mon zigue on ne me la fait pas
Je suis sa muse et sa rhapsode
Il en pince pour mes appas
Je joue ses plaintes et ses odes
Et je le prends dans mes sambas
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Des nuits de mon Halicarnasse
J'en ai fait mon mea culpa
Je suis sa parque et sa nourrice
Je suis sa reine de Saba
Et lorsque les fèves fleurissent
La bergère de ses ébats
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Au gré des saisons je traînasse
Je sais le plomb la pluie d'abat
Je suis sa pute et sa pucelle
Nue - je ne garde que mes bas -
Je râpe un triste violoncelle
Assisse au bord de son grabat
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Je n'ai cure de vos menaces
De vos piques de vos sabbats
Je suis sa souillon sa servante
Je porte son sac et son bât
Ses madrigaux et ses sirventes
Ses plaies ses bosses ses combats
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
La Soif et la Faim sont tenaces
Et mènent la ronde ici-bas
Je suis comme il dit sa Camuse
Qui l'hiver sous les catalpas
De la rue de Fürsteinberg muse
Coiffée d'un bonnet à rabats
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Ce joli monde cadenasse
Les cavernes d'Ali-Baba
Un vieil air vous remue les tripes
Accordéon crincrin tuba
La misère un temps vous agrippe
C'est toujours le même tabac
J'ai toujours un rat dans ma nasse
Une poire dans mon cabas
Je vends des vues de Montparnasse
Et des pastels de Rosalba
1995
