PREMIERE PARTIE
CHAPITRE 1
Lundi 25 Décembre
1995 Paris - 00h30
La lune éclairait d'un voile opaque l'allée
dans laquelle deux gardes républicains patrouillaient. En cette
fin décembre 1995, la France se remettait doucement des tragiques
événements qui l'avaient secouée. Plusieurs attentats
perpétrés par des terroristes islamisés l'avait
obligée à déclencher des mesures de sécurité
exceptionnelles. La mise en place du plan Vigipirate rassurait les Français,
surtout les Parisiens !
En cette soirée blanchâtre,
Erwan Chanzal et William Planquart, cavaliers de la garde républicaine,
effectuaient une mission de surveillance dans les jardins du Luxembourg.
Revêtus de leur uniforme bleu, les gardes avaient été
sollicités en renfort pour assurer la sécurité
des espaces verts du Sénat ; cette mesure, évidemment,
n'était pas du goût de tout le personnel de ce corps d'élite.
Erwan n'approuvait pas ce service car pour lui c'était systématiquement
au détriment du travail des chevaux. Il était vrai que,
fragilisées par l'inertie, certaines bêtes pouvaient être
sujettes aux coliques, provoquant à terme leur décès.
William Planquart sortait de
l'Ecole de Gendarmerie et découvrait une facette inconnue de
ce métier, spécialisé dans les services d'honneur.
C'était sa première affectation, dans laquelle il découvrait
une ambiance très axée sur le respect de l'animal et des
traditions. Ce milieu lui paraissait bien éloigné de l'idée
qu'il avait de la maréchaussée ; il ignorait, avant son
engagement, que pour revêtir l'uniforme de la garde républicaine,
il fallait réussir le concours d'entrée en gendarmerie.
Bien déterminé
à montrer son ambition et sa volonté inébranlable,
William avait la foi en son métier. La trentaine, de taille moyenne,
cheveux bruns coiffés à la coupe réglementaire,
le visage rond, seul son regard franc était gage d'honnêteté
et de franchise.
Pourtant, ce soir-là,
il ne s'imaginait pas que son futur proche lui ferait prendre des tournants
décisifs
" - Tu n'es pas trop crevé ?
- Je serais bien mieux chez moi. Si ça continue, on va trouver
un coin pour pioncer."
Le visage de William se crispa.
Il ne voulait pas succomber aux facilités offertes, elles étaient
un boomerang frappant par derrière
William respectait son
camarade, plus ancien, aussi trouva-t-il une alternative, dosée
de diplomatie et de bon sens, voire empreinte d'un peu d'hypocrisie
" - Ce n'est pas une mauvaise idée, seulement le chef de
quart tourne dans le jardin. Il vaudrait mieux assurer, n'est-ce pas
? Se faire planter un jour de Noël, c'est plutôt stupide
?
- Pas de danger, le chef sera occupé à fêter l'événement
tout seul dans son coin ! Mais toi, tu n'es pas fatigué ?
- Non, je ne m'endors jamais avant une ronde de vingt-trois heures.
Je préfère assurer la continuité, sinon, j'ai un
mauvais réveil. Je dors mieux après. Mais franchement,
je ne veux pas te décevoir, le gradé doit certainement
prendre son rôle au sérieux. N'oublie pas qu'il y a un
général qui commande la sécurité, cela m'étonnerait
qu'il tolère une inattention quelconque
"
Le vétéran grommela
quelque chose d'indescriptible et suivit le chemin.
Un peu plus tard, aux alentours
du bâtiment sénatorial, une guérite réchauffait
avec peine un fantassin du deuxième régiment. Malgré
la fraîcheur nocturne, le militaire transpirait à grosses
gouttes, comme pris par la fièvre. L'approche des cavaliers le
fit sursauter.
" - Bonjour ! Je ne vous ai pas vu arriver !
- Salut, je suis le garde Chanzal, du 3ème Escadron.
- Et moi, Planquart, du même. Il ne fait pas chaud, n'est-ce pas
?
- Non. J'ai peur d'avoir chopé la grippe en plus. Je m'appelle
Van Stael, deuxième régiment à Kellerman. Cela
commence à devenir frustrant de rester là à rien
faire, avec cette fichue crève !
- C'est vrai que ça n'a pas l'air d'aller, dit Erwan.
- Ca ira mieux dans moins d'une demi-heure, quand j'irai me coucher.
Et ensuite, plus que cinq jours à faire, avant mon retour dans
le civil.
- Ah bon, s'étonna William, le métier ne te convient pas
?
- Dis donc, coupa Erwan intéressé, n'aurais-tu pas vu
le gradé de permanence ?
- Il fait une ronde en général toutes les deux heures.
La prochaine sera dans une demi-heure maintenant, à la prochaine
relève.
- Merci, dit Erwan rassuré, je crois qu'on ne va pas traîner
alors. "
Ils quittèrent la sentinelle
et poursuivirent leur ronde en direction de l'Est du Parc. Les lumières
des appartements attirèrent leurs regards. Il semblait qu'une
agitation régnait à l'intérieur des logis. Des
guirlandes électriques clignotaient, des sapins volumineux brillaient
et des boules scintillaient contrastant avec la blancheur du sol recouvert
par la neige. Noël était là, dans l'esprit des enfants
et des parents, si vivant et si chaleureux, si plein de promesses aussi,
qu'il en devenait indécent pour Erwan ne pouvant s'empêcher
de s'exclamer :
" - Ils en ont de la chance ! Dire qu'en ce moment, ma femme et
mes deux enfants réveillonnent, et moi qui suis ici, à
faire l'idiot !
- Je sais que c'est un peu facile de dire ça, mais tu te rattraperas
pour le Nouvel an, Erwan.
- Ce n'est pas pareil. Noël c'est une réunion de famille,
un moment important. La Saint-Sylvestre en général je
la passe avec des amis. "
Chanzal avait la malchance
d'être de service durant la nuit de réveillon ; une seule
idée l'obsédait : vivre le moment précis où
les enfants s'émerveilleraient de leurs présents ; leur
joie était sa principale satisfaction.
Et pourtant, le rocambolesque de la situation des deux hommes leur échappait
à cet instant présent. Ils parcouraient le chemin de ronde,
derrière les grilles du jardin, comme prisonniers d'un endroit
dont ils ne pouvaient sortir, alors qu'en fait, ils agissaient comme
étant les garants de la sécurité des lieux.
Arrivant vers le secteur Est
du Palais, William regarda sa montre. Cela faisait une bonne heure qu'ils
patrouillaient ainsi, le plus sérieusement possible mais la lassitude
gagnait du terrain sur leur attention ; ils savaient que la zone à
protéger ne constituait pas une cible de choix pour les terroristes,
mais la prévention impliquant la présence constante, ils
ne pouvaient qu'obéir ; aussi s'efforçaient-ils de croire
leur mission importante et leurs responsabilités étendues,
sans toutefois se faire d'illusions.
" - Fais un contrôle radio, dit le jeune garde, c'est l'heure.
- Charlie Papa ici Papa Echo, pour contrôle radio, parlez. "
Dans le silence de la nuit,
une voix se fit entendre dans le haut-parleur de l'appareil de transmission
" - Sur écoute,
parlez.
- De Papa Echo, nous sommes au secteur Est, rien à signaler,
parlez.
- Bien reçu, terminé. "
De l'autre côté,
la rue semblait déserte, peu de véhicules et peu de badauds
l'occupaient. Dans les appartements, les parisiens terminaient leurs
préparatifs et s'attablaient. Les gardes pensaient avoir une
nuit calme, rien ne devrait les déranger. Ils songeaient à
la bouteille de champagne qui leur avait été offerte juste
avant de partir au Sénat, avec tout de même l'interdiction
de l'ouvrir tant que durerait le service ! Chose normale, somme toute
Jetant un il sur le dôme
du Palais, William remarqua :
" - Tiens, les sénateurs ont fini la séance de travail,
regarde, les lumières viennent de s'éteindre.
- Non, William. Ce sont certainement les services de nettoyage qui ont
uvré après la séance exceptionnelle de cet
après-midi. Je crois que les Parlementaires sont restés
au Palais, mais pour une autre raison. Les collègues au portail
vont avoir de l'occupation. Ils ne verront pas le temps passer.
- Pour nous, dans trois quarts d'heure c'est la fin. "
Les deux gardes s'approchèrent
maintenant près d'un muret entourant le bassin principal, situé
juste devant le bâtiment sénatorial. Afin d'alimenter une
conversation qui s'avérait jusqu'à présent plate
en intérêt, William se décida à évoquer
certaines informations obtenues dans la journée de l'avant-veille,
lorsqu'il avait discuté avec un agent de sécurité
du Sénat.
" - Vois-tu cette petite construction servant de banc pour la majorité
du public ? Sais-tu qu'avant c'était un mur, de taille d'homme
? Pendant les événements de 1871 il a servi pour y adosser
les Fédérés devant être fusillés.
Si les visiteurs s'intéressaient vraiment à l'Histoire,
aucun n'oserait s'asseoir sur le sang de ces Parisiens
- Je vois que tu ne perds pas ton temps, s'étonna Erwan, tu es
allé à la bibliothèque ?
- Non, juste un agent de sécurité qui s'intéresse
au passé du Jardin. Il m'a raconté des anecdotes historiques
importantes, mais également les pratiques imbéciles de
certains.
- Comme ? ? ?
- Par exemple ? La fontaine Marie de Médicis, elle n'est pas
très loin, je vais te montrer quelque chose. "
Ils abordèrent alors
l'édifice et William se mit à raconter
" - J'ai appris que cette fontaine a changé d'emplacement.
Le baron Haussmann voulait agrandir les rues de Paris et la fontaine
se trouvait sur le tracé des futurs boulevards. De plus, un bâtiment,
aujourd'hui disparu, y était accolé. Tiens, regarde, tu
vois cette sculpture, qui représente Polyphème, un cyclope,
sur le point d'écraser à l'aide d'un rocher Acis et Galatée
enlacés ? A l'origine, c'était une autre uvre datant
de la Révolution : Vénus sortant de son bain. Aujourd'hui,
c'est une des premières scènes de la mythologie grecque
qui est représentée. Derrière une autre sculpture
a été rajoutée, représentant Léda
et son cygne. Il faut admettre que la restauration de ce bassin est
une réussite, n'est-ce pas ?
- C'est vrai, répondit Erwan, je ne suis pas amateur des belles
pierres, mais on peut dire que c'est magnifique. Et puis regarde-moi
ce superbe bassin ! De nuit le reflet rend l'uvre d'autant plus
belle !
Nous allons attendre ici maintenant, dans un quart d'heure c'est la
relève, nous avons assez marché comme ça.
- D'accord, Erwan. Pas de problème. Regarde au fond de l'eau,
des pièces de monnaie. Ce sont les gens superstitieux qui sont
passés par-là. J'ai vu des jeunes qui s'amusaient à
récupérer certaines pièces avec un bâton
auquel ils avaient collé leur chewing-gum. Dès qu'ils
nous ont aperçus, ils se sont sauvés en courant ! C'est
cela l'attitude imbécile dont je te parlais.
- Je sais, cela m'est déjà arrivé aussi. C'est
un comportement mesquin et bête. "
L'eau claire du bassin reflétait
la lumière de lune, un instant de silence berçait la minute
Les gardes firent le tour de l'ouvrage, admirant l'ingéniosité
et le talent du concepteur. Ils ressentirent alors la dose d'imagination,
de courage et de labeur qu'il avait fallu pour un homme dépourvu
des moyens modernes d'aujourd'hui pour faire construire pareille fontaine.
Erwan prit un bâton et
brassa les vaguelettes créées par la bise nocturne. A
un moment, il sentit son bâton buter sur quelque chose. Il regarda
machinalement vers son extrémité ; il fronça les
sourcils en apercevant une masse sombre dans l'eau. Il joua du bâton
pour mieux attraper cette forme
Il se servit de son outil comme
d'un levier, et soudain il comprit
Pâle, il ne put que balbutier
" - William, William, regarde
"
Planquart se retourna et sur
son visage on lut la stupéfaction
Il se mit à trembler
De sa vie jamais il n'avait eu à faire face à cet imprévu.
Erwan semblait paralysé, lui si habitué aux chevaux n'avait
jamais été confronté à pareille découverte.
" - Donne-moi, la radio, Erwan, vite ! Charlie-Papa, ici Papa Echo,
Urgent, parlez !
- Sur écoute
- Nous sommes à la fontaine de Marie de Médicis. Nous
venons de découvrir un cadavre dans le bassin ! ".
(à suivre...)