PIECE DE THEATRE

Vaudeville

par Pierre BRANDAO

HERMAPHRO - DITES ? ? ?

page 1

 


Comme quoi l'appât du gain peut l'emporter sur des situations intimes,
même si celles-ci sont du ressort du surnaturel ou du paranormal.

Personnages

M. COURBERT Gérard (dénommé " Le père ")
COURBERT Roger (dénommé " Le fils ")
Mme COURBERT Gisèle (dénommée " La mère)
COURBERT Irène (dénommé " La fille ")
Claudine (l'amie d'Irène)
Le psy FALUS Honoré
Un anonyme
Pascal
Brancardier 1
Brancardier 2


ACTE 1


Présentation de la scène

Mobilier simple d'un intérieur de maison, la sale à manger. Quatre portes permettent l'accès à l'entrée et aux trois autres chambres.

L'ensemble dénote que l'action se déroule au sein d'une famille aux moyens modestes.

Personnages :

COURBERT Gérard (dénommé " le père ")
COURBERT Roger (dénommé " le fils ")
COURBERT Gisèle (dénommée " la mère)
COURBERT Irène (dénommée " la fille "
Claudine

SCENE 1 :

(COURBERT Gérard - Roger)


Le père, COURBERT Gérard, se trouve à son bureau. Il semble préoccupé par une liasse de documents administratifs. Le comportement de l'intéressé semble excédé.


COURBERT Gérard : Comment vais-je faire pour m'en sortir ! Si seulement Gisèle faisait un peu attention, je ne serais pas dans une pareille galère ! Et les gosses ! Ah, ça ! Les gosses ! Tant qu'ils étaient petits, petits besoins ! Mais maintenant qu'ils ont grandi, leurs besoins ont suivi ! Il va vraiment falloir trouver une solution, c'est clair !

Roger, le fils, entre à ce moment et se dirige directement au bureau de son père :

COURBERT Roger, le fils : Papa !

COURBERT Gérard, le père : Humm ???

ROGER : J'ai à te parler.

LE PERE : Oui ?

ROGER : J'ai un drôle de problème…

LE PERE (levant la tête et brandissant une lasse de papiers administratifs) : Ah oui ? Comme si c'était drôle d'avoir des problèmes ? tu vois toute cette paperasserie ? Ca, ce sont des problèmes, et crois-moi, je ne les trouve pas drôles du tout !

ROGER : Non, papa, bien sûr ! c'est une façon de parler. Et autant ce n'est pas drôle pour toi, mon problème à moi, ça n'a rien à voir avec les papiers. C'est bien plus important.

LE PERE (excédé) : Plus important ? Insolent ! tu ne sais pas de quoi tu parles ! Qu'y a t'il de plus important que le souci de ne pas pouvoir payer honorablement ses dettes, dis-moi ? Toi, tu t'en moques, c'est normal ! Tout ce que tu nous demandes, nous avons ta mère et moi la faiblesse de te l'offrir ! Alors, la vie facile, c'est pour tes yeux, les factures à payer, c'est pour les vieux !

ROGER (cherchant à calmer son père) : Ok, papa, soit, c'est vrai, je reconnais qu'Irène et moi avons un peu abusé… mais nos passions, ça coûte… et tu ne voudrais pas que l'on soit aigri de ne pas faire ce qui nous plait tout de même…
Mais pour en revenir à ce que je voulais te dire, c'est franchement un problème qui n'est pas courant du tout… C'est un problème … énorme si je puis dire…

LE PERE (interrogatif) : Enorme ? C'est d'ordre études ? tu ne veux plus poursuivre l'université, maintenant que nous avons avancé ta caution pour la chambre ?

ROGER : Non, non , pas du tout !

LE PERE (soulagé mais hypocrite) : Ah bon ! Enfin, tu sais, ce n'est pas évident de savoir avec certitude ce que l'on va faire plus tard… Regarde-moi, j'aurais dû écouter ma première motivation, et voilà ce que je suis devenu aujourd'hui…

ROGER : C'est vrai qu'il vaut mieux éviter d'en parler…

LE PERE : Pardon ?

ROGER : Non, rien, Papa. Mais de toutes façons, l'ennui qui me tenaille n'a strictement rien à voir avec mon avenir professionnel…

LE PERE : C'est dans la tête que ça se passe ? Tu as des problèmes de libido ?

ROGER : A vrai dire, de ce côté-ci, ça va aussi…

LE PERE : Ah ! J'y suis ! C'est une question sur la sexualité ! Evidemment, à ton jeune âge, on se posait plein de questions sur la sexualité.
(le père se lève et s'approche, tel un confident, près de son fils).
Veux-tu que je t'explique comment tu es né ? Je comprends fort bien qu'aujourd'hui tu doutes de la légende de la cigogne et du chou… il te faut…

ROGER : oh, laisse tomber, Papa ! Si c'est une cigogne qui s'est chargée de t'emmener, elle a dû te laisser tomber parce que sur le plan du cerveau, il doit y avoir des cases d'enfoncées !

LE PERE : Roger ! Je suis ton père !

ROGER : A t'écouter, je croyais que c'était la cigogne ! Ecoute, laisse tomber la sexualité d'accord ! Mon problème n'a que peu de rapports avec…

LE PERE : Peu de rapports ? Tu veux me parler d'une déception amoureuse peut-être… je suis touché que tu m'en parles, à moi. Mais ne t'en fais pas, comme le dit le dicton : une de partie, dix de retrouvées. Si tu savais combien j'ai laissé tomber de filles avant de rencontrer ta mère… En revanche, tu vois, j'ai été le seul pour lequel elle a craqué…

ROGER : Si elle a toujours été comme aujourd'hui, je comprends que la pitié t'ait pris… et elle de même…

LE PERE : Bien, puisque tu es si désagréable, tu peux aller voir ailleurs si j'y suis. Et tes problèmes, tu te les gardes, OK ?

ROGER : Oui, c'est une habitude. Dès que quelque chose te dépasse, tu te défiles.

LE PERE (exaspéré) : Alors arrête de tourner autour du pot, et dis-moi ce qu'il en est !

ROGER : Je te l'aurais dit depuis longtemps si tu avais arrêté de me couper la parole !

LE PERE : Je me tais. Parle.

ROGER : Et bien…

LE PERE : Alors ?

ROGER : Je croyais que tu me laissais parler… Mon problème, il est en fait et physique, et sentimental.

LE PERE : J'avais raison, encore une fois ! Et tu me fais perdre trois quart d'heures pour me dire ce que j'avais déjà deviné !

ROGER : Quand tu sauras tout, m'est avis que tu ne diras pas grand chose…

LE PERE : Voudrais-tu dire que je ne t'ai pas compris ?

ROGER : Je n'en ai pas eu le loisir, de me faire comprendre. J'ai l'impression de parler à un mur bavard : il parle mais n'entend pas !

LE PERE (vexé) : Le mur t'écoute.

ROGER : Bon, c'est très simple. Je suis enceint.

(silence)

LE PERE (étonné) : C'est pas vrai ?!

ROGER : Tout ce qu'il y a de plus vrai. Je suis enceint.

LE PERE (adossé au bureau, se lève et tend les bras vers son fils) : Ah ! Roger ! Quelle bonne nouvelle ! je vais enfin être grand-père ! Laisse-moi écouter le petit cœur de cet enfant qui bientôt égaiera nos jours (et nos nuits) !
(il penche sa tête vers le thorax de Roger)
Oh, comme c'est heureux ! je l'entends déjà ! Et dire que ta sœur, qui est l'aînée, est incapable de nous faire ce plaisir ! Ah, mon fils, que tu me rends heureux !
(il lève soudainement la tête)
Mon fils ?
Mais… tu es un garçon !

ROGER (joignant le geste à la parole) : Ca oui ! J'ai tous les éléments le prouvant !

LE PERE : Tu as fini de te moquer de moi ! Je suis en pleine étude financière pour régler vos dépenses, et toi tu viens me déranger en me racontant la plus grosse bêtise qu'on m'ait jamais dite ! Sors d'ici avant que je me fâche !

ROGER : J'avais prévu le silence, pas une engueulade ! Mais que tu le croies ou non, c'est une idée à laquelle il faudra que tu te fasses.

LE PERE : Enceint ??? mais où es-tu allé chercher ça ?

ROGER (lui tendant un certificat médical) : Je te dis que je suis enceint, là ! Tu viens toi même d'entendre les mouvements du bébé dans mon ventre !

LE PERE (regardant le justificatif et le lisant à haute voix) : " Je, soussigné Docteur Laberlu, atteste avoir examiné ce jour COURBERT Roger, et déterminé avec précision qu'il présente sans conteste des signes de grossesse. L'évaluation est portée à quatre semaines d'aménorrhée. La justesse de mon examen pourrait être confirmé par une échographie d'un confrère gynécologue. En tant que médecin et profitant de l'occasion qui m'est donnée, je précise m'opposer totalement à cet état de fait contraire à la nature humaine."
Mais alors, si tant est que tu te trouves enceinte, cela veut dire que tu es …

ROGER : Comment ?

LE PERE : Que tu es pédéraste !

ROGER : Non ! non ! tu te trompes ! Je ne fais pas partie de…

LE PERE : Comment ça, je me trompe ! Il faut bien qu'il soit rentré quelque part non ? Celui qui a fait cela n'a pas raté son coup ! Malgré qu'il ait tiré à blanc, il a fait mouche !

ROGER : Ecoute, c'est un peu de ta faute : tu m'as toujours dit qu'il ne fallait pas mourir idiot ; qu'il fallait goûter à tous les râteliers. C'est ce que j'ai fait… Mais je ne pensais pas être tombé sur un os…

LE PERE : … à moelle, oui !

ROGER : Oui, on peut dire ça de cette façon… mais comment aurai-je pu savoir…

LE PERE : Ah, mon fille ! heu, ma fils ! Zut !

ROGER : Ne te trouble pas, c'est moi l'encloqué ! Je vais te raconter comment cela s'est passé. Il faisait très noir, c'était dans la rue ; j'avais envie de faire l'amour à une blonde, il paraît qu'elles sont bien chaudes. Je l'ai alors rencontré, elle tenait un sac à main noir. Elle mâchait un chewing-gum et me fixait droit dans les yeux, à moi qui me trouvait de l'autre côté de la rue ; tu te rends compte ! c'est à moi qu'elle souriait ! Je me suis dit qu'il fallait tenter le coup, et je me suis approché. Elle s'est écartée du lampadaire contre lequel elle était adossée et a ouvert un pan de sa veste ; elle m'aguichait, c'est sûr ! Elle avait une mini jupe très provocante… Je n'ai pas résisté… J'ai voulu lui parler, mais ma voix s'est étranglée… Alors elle a pris les devants et m'a dit : " Tu viens, chéri ? ". J'ai pas résisté, et je lui ai proposé de lui offrir un verre, pour faire la conversation quoi ; elle s'est étonnée et m'a dit qu'il y avait ce qu'il fallait dans sa chambre. Je me suis dit que ce ferait des économies d'argent, et que tu serais content, Papa, toi qui est toujours prés de tes sous. Alors j'ai dit oui et je l'ai suivi.

LE PERE : Serais-tu en train de te moquer de moi ?

ROGER : Ben, non ? Pourquoi ? Dans la chambre, j'ai pas tout compris ce qui s'est passé. Elle devait avoir chaud, à mon avis, car elle a retiré sa veste et son bustier… J'ai pas eu le temps de placer un mot ! Elle avait une paire de seins, bon sang, Papa, tu aurais vu ça ! J'ai pris une serviette et je lui ai tendu pour qu'elle se recouvre ; mais là elle a commencé à rire. Je n'ai pourtant pas raconté d'histoires drôles ? Ensuite, elle s'est retournée et a retiré sa jupe, en me présentant son fessier… je me suis senti bizarrement durci…

LE PERE : Non, ce n'est pas vrai… Ce n'est pas mon fils, ce n'est pas possible…

ROGER : Elle m'a demandé d'éteindre la lumière car elle était pudique… Dans le noir, j'ai senti qu'elle me poussait, et elle m'a déshabillé. Elle m'a susurré de me retourner, me promettant un plaisir jamais inégalé… Devant tant de gentillesse et de promesses, qu'avais-je à craindre ? Je me suis alors mis sur le ventre… Et là j'ai eu très mal au …

LE PERE : Oui, bon, ça suffit ! Combien t'a t'elle demandé ?

ROGER : Combien ? Ben, rien ! Pourquoi ?

LE PERE : Tu es sûr qu'elle ne t'a rien pris pour " ce plaisir inégalé " ?

ROGER : Je ne lui ai rien donné… quoique.. il me manquait cinq cent francs dans mon portefeuille après coup…

LE PERE : Et il s'est fait voler l'argent ! bravo ! Et dans ton inconscience, tu as oublié de prendre la pilule je parie ! D'où ce qu'il arrive aujourd'hui !

ROGER : Je suis ton fils, papa, non Irène !

LE PÈRE : Je n'arrive pas à m'y faire ! J'y comprends rien ! Tu es un homme ! C'est impossible que pareille chose t'arrive ! Et dire que cette prostituée était en plus un travesti !

ROGER : Prostituée ? ? ? Travesti ? ? ?

LE PERE : Je n'y crois pas ! Tu ne vas tout de même pas me dire que tu l'ignores ! Mais, dis-moi, comment t'es-tu aperçu que tu étais enceint ?

ROGER : Ca a commencé par des migraines, puis des nausées ; tu te souviens de mon manque d'appétit parfois, ainsi que de mes envies subites de fraises ? j'ai sacrément douté, alors j'ai consulté un médecin. I1a fait une de ces têtes, après l'auscultation ! Puis il m'a conseillé d'aller voir un gyneco. Tu as vu son certificat.

LE PERE : Hélas, oui !

ROGER : Je suis le seul cas du monde. Le généraliste n'en revenait pas. J'ai du faire des analyses pour confirmer le résultat, et c'est positif. J'attends un bébé.

LE PÈRE : Quelle idée aussi d'aller tremper ta sauce dans la rue ! Que dira Fabienne ! Cette fois, tu peux être sûr que tes fiançailles sont compromises !

ROGER : Ne t'inquiètes pas, il n'y aura pas de fiançailles, car j'ai rompu. C'est pour ça d'ailleurs que je me suis consolé avec les dames.

LE PÈRE : Ah bon ? Dommage, c'était un beau brin de fille... En attendant, que va- t'on faire ? tu ne penses tout de même pas garder ce rejeton tout de même ?

ROGER : Bien sûr que non ! d'où mon problème !

LE PERE : Evidemment... Quoique...

ROGER : Attends... Tu ne songes tout de même pas à...

LE PÈRE (illuminé soudainement) : Mais si ! Voilà la solution de tous nos problèmes ! Fini les soucis de factures qu'on ne peut pas payer ! Fini les fins de mois difficiles !

ROGER (incrédule) : J'avoue ne pas comprendre, là…

LE PERE (continuant dans sa lancée) : Voici ce que l'on va faire : Convoquer les journalistes des presses à sensation, et se faire du beurre sur la publicité de ta grossesse anormale !

ROGER : C'est ça ! Et on sera sujet aux moqueries de tout le monde, on ne pourra sortir que cachés sous des cagoules, la vie sera un enfer, les filles rigoleront...

LE PÈRE : Mais non, rien de tout çà ! On conservera l'incognito et surtout on fera payer un droit de visite ! Imagine ! Imagine ! Chaque personne qui passe c'est une maison de rêve en vue ! Une retraite fabuleuse, une Ferrari rouge de jalousie...

ROGER : Attends, attends, et moi dans tout ça ! I1 est hors de question que je subisse les sarcasmes des autres ! C'est un accident, et je veux pas de boulet ma vie durant !

LE PERE : Tu n'es pas tout seul mon petit Roger ; nous serons là pour t'aider à éduquer ton bébé ; ça ne sera pas plus difficile qu'avec toi et Irène. Et puis, pense à tout ce que cela te rapportera : la moto, les filles, une rente bref, tu vas devenir riche !

ROGER : Quand on y pense…

LE PERE . On assurera en plus ton ventre, au cas où il y aurait un pépin, ça nous fera une rentrée d'argent supplémentaire... Alors, qu'en dis-tu ?

ROGER . Si tu es sûr que les filles apprécieront... Mais dis-moi, je te connais ! Tu voudras certainement la plus grosse part du gâteau ?

LE PERE : Eh ben, comme je t'héberge, je ne te demande qu'un minimum... 55%. ... Mais allons voir le gynéco de ta mère, je veux être sûr de ce que tu me dis...

(ils prennent leur blouson et sortent).

SCÈNE 2


Décor : même pièce que la scène 1. La mère rentre, chargée de courses.


LA MERE

LA MERE : Roger ! Irène ! Vous êtes là ?
(Silence. La mère pose ses courses sur la table)
I1 y a quelqu'un ? Décidément, jamais personne quand on a besoin d'aide !
(elle se dirige vers une porte et l'ouvre)
Irène ! encore partie traînée !
(elle se dirige vers l'autre porte)
Roger ? Évidemment, comme si ça servait d'appeler un bon à rien !
(elle revient vers la table, et commence à déballer ses achats)
Quand à ce cher mari, toujours disponible pour les autres, jamais pour sa famille, si ce n'est pour trouver querelle !
(elle admire un vêtement pour bébé)
Comme c'est chou ! C'est Irène qui va être contente ! Elle qui dit sans cesse que je ne la comprends pas, elle va être surprise de voir comment je suis moderne ! Par ce cadeau, je lui donne mon assentiment pour les questions "Crac-crac", et en plus du même coup je lui permet de me faire devenir grand-mère. Bon, je l'envelopperai plus tard.
(elle dépose le vêtement, prend un carton, qui semble bien lourd)
Ah, voilà pour Roger ! Lui si maigre, si grêle ! Qui a ce complexe d'être considéré comme efféminé ! I1 sera content quand il verra ce que je lui rapporte !
(elle sort deux haltères)
Dieu ! Que c'est lourd ! Heureusement que c'était en solde ! Rien que d'y penser çà les rend plus légers !
(elle dépose les haltères dans la chambre de Roger. Ensuite, elle prend le cabas et se dirige vers la cuisine, où on l'entend...)
Cà, là et- ceci, ici... Bien,, c'est terminé pour le rangement.
Passons aux -patates !
(elle revient dans le salon les bras chargés d'un sac de pommes de terre, allume la télé et s'installe à table pour l'épluchage)
C'est bon de vivre, tout de même, nous sommes une famille unie, pas riche, mais bien équilibrée. C'est ça qui compte. Oui, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, qu'il disait un certain philosophe... Je ne sais plus lequel d'ailleurs...
(on entend la porte d'entrée s'ouvrir...)
Tiens, un de ces bons à rien qui rentre...


SCENE 3

LA MERE, IRENE

(même pièce, même décor)

IRÈNE : J'ai à te parler, maman, j'ai un drôle de problème.

LA MÈRE : C'est rare d'avoir des problèmes drôles, tu ne trouves pas ? Moi ces patates, je ne les trouve vraiment pas de bon goût d'avoir à les éplucher seule pour vous quatre !

IRÈNE : C'est pas un problème d'épluchage, je te rassure, çà serait plutôt le contraire : d' " empluchage ", dirais-je !

LA MERE : Comment ça ?

IRÈNE : Disons que... ce n'est pas très commun...

LA MÈRE : Allons bon, des devinettes maintenant ! C'est pour tes études ?

IRENE : Effectivement, il y a un rapport.

LA MERE : Tu vois ! Je te l'avais dit que la psychologie n'était pas faite pour toi ! On ne peut pas faire des études dans ce domaine tout en ayant été soi-même suivie ! Toujours à contredire ta mère, parce que maman est ceci, maman est cela, elle ne me connaît pas, elle croit tout savoir de moi, gnagnagna, gnagnani...

IRÈNE : Attends, tu n'y es pas...

LA MERE : Taratata ! Tais toi ! Tu ne me la feras pas ! Je t'avais prévenue que ce n'était pas fait pour toi ! Que cela allait te demander de longues heures d'études, et que tu te fatiguerais vite ! Que va ton faire de toi maintenant ! Car tu veux arrêter certainement ?

IRENE : J'ai...

LA MÈRE : Ben voilà ! Tu dépenses tout ton fric pour que tes gosses puissent suivre des longues études, et voilà que tout part à 1a poubelle ! C'est ton père qui sera heureux d'apprendre ça ! Lui qui est toujours si près de ses sous !

IRÈNE : Je lui rendrais ses sous, ne t'inquiète pas !

LA MÈRE : C'est çà ! Avec ton chômage ! Mais tu rêves !

IRÈNE : Non, car je recherche un emploi de vigile...

LA MÈRE : Un emploi de quoi ?

IRÈNE : Vigile, pour un grand supermarché, j'attends la réponse. Mais maintenant si tu veux bien, j'aimerai te parler, car j'ai un de problème ; Si tu pouvais te taire au moins cinq minutes, ça me laisserait le temps de t'expliquer. Tu permets ? Bien, voilà, ça fait déjà deux ans que j'ai arrêté la psycho...

LA MERE : Deux ans ! Mais que faisais-tu pendant tout ce temps ?

IRÈNE : Attends !

LA MERE : Tu n'as pas fait la ..., non ! ou call-..., ouf !

IRÈNE : Tais-toi ! que je t'explique ! J'ai simplement suivi des cours de body-building...

LA MÈRE : Tu veux partir aux Etats-Unis ?

IRÈNE : C'est vraiment plus grave que je ne pensais ! Non, je reste ici, à Paris ! Le body-building, c'est l'art de se muscler le corps ! Il y a des compétitions internationales de body-building, Maman, et ça me plait vraiment. Mais, hélas, c'est de là que vient mon problème ! j'ai tellement améliorer ma condition physique, que j'en deviens transformée !

LA MERE : C'est vrai que depuis un certain temps je te trouve enveloppée de graisse !

IRÈNE : De graisse ! Tu veux tâter de cette graisse ? C'est du pur muscle !

LA MÈRE : Ne me parle pas comme ça ! Et puis quelle idée ! A quoi ça peut te servir !

IRÈNE : Mais à gagner des concours, pardi ! D'ailleurs, rembourser papa pour les études ne me pose pas de problèmes... Mais vois-tu, lorsque j'ai commencé ce sport, j'ai été avertie qu'il y avait un risque...

LA MÈRE : Quel genre de risque ?

IRÈNE : Eh bien, que si je voulais être sûre d'être championne dans ma catégorie, il me fallait prendre certains médicaments ; mais que leur action pouvait, comment dire...

LA MÈRE(agacée) : Bon, tu accouches ou quoi ?

IRÈNE : Ah ça, non, je ne le peux plus !

LA MÈRE : Quoi ? tu ne peux plus quoi ?

IRÈNE : Accoucher. Je ne peux plus accoucher !

LA MERE (arborant un petit rire niais) : Tu vas m'expliquer à la fin ce que tu radotes !

IRÈNE : Et bien voilà, les médicaments que j'ai pris, ce sont des chromosomes, et je deviens un peu plus masculine !

LA MERE : Mais… Pauvre idiote ! pauvre imbécile ! personne ne t'a déconseillée de prendre ces cochonneries ? C'est totalement réservé aux hommes, ça ! Tu aurais du prendre des " chromofemmes " !

IRENE : Quoi ? voyons, maman ! des chromosomes, j'ai dit, c'est pour développer mes muscles ! Ce n'est pas si difficile à comprendre tout de même !

LA MERE : Ok, Irène, je te rappelle que je n'ai pas fait de grandes études moi ! Mais que veux-tu dire par " un peu plus masculine " ?

IRENE : A vrai dire, j'ai des sensations bizarres… J'ai l'impression que ma voix mue, j'ai des pulsions étranges entre les cuisses, plus je grandis, plus ma poitrine devient de petite taille ; le pire, c'est que je suis quasiment obligée de me raser tous les jours, autant au niveau des jambes qu'au niveau du menton… Tu veux voir ?

LA MERE (en se penchant) : Ca alors ! on dirait les jambes de ton père !

IRENE : Oui, mais il ne faut pas exagérer quand même !

LA MERE : Et, ces sensations entre tes cuisses, c'est quoi exactement ?

IRENE : Là, franchement, je t'avoue avoir un peu peur… J'aimerai consulter un médecin…

LA MERE : Tu penses que …

IRENE : J'en ai bien peur, maman…

LA MERE : C'est effroyable ! Il faut absolument éradiquer cela ! Il faut que tu prennes des médicaments, pour contrer cette transformation contre-nature ! Tu n'as toujours pas pris de rendez-vous avec un spécialiste ?

IRENE : Non, mais de toute façon le métabolisme est irréversible.

LA MERE : Mets ta " bolisme " où tu le souhaites, mais on ne va pas laisser faire ça !

IRENE : D'accord l'intello ! Je vois que tu as tout compris !

LA MERE : Quoi ?

IRENE : Je viens de te dire que le processus est irréversible : je suis en train de devenir un homme, et cela se fera, c'est tout.

LA MERE : Mais non, ma chérie, voyons ! Je suis sûre que l'on peut contrer cela….

IRENE : Ce serait possible effectivement, si j'en avais envie…

(silence. La mère, incrédule, regarde sa fille, d'un air plutôt étonné)

Ne me regarde pas comme ça, maman, tu as bien entendu.

LA MERE : Je ne crois pas, non…

IRENE : Si, tout à fait ! Je le dis et je le répète : je veux que cette transformation aboutisse à un total travestissement. Je te rappelle mon âge, 20 ans, par conséquent majeure, et libre de décider de mon destin. J'en ai assez d'être femme, car les hommes ne reluquent que mon corps ; j'en ai assez d'être prise pour de la marchandise sans cervelle, sans âme ; je ne suis pour les yeux des garçons qu'un objet sexuel pourvu de beaux traits et de belles formes. J'en ai assez de souffrir les obscénités soufflées et les allusions salaces derrière mon dos. Encore dernièrement, le seul garçon pour lequel j'éprouve des sentiments ne chercher qu'une chose : me posséder. Où sont les sentiments dans tout ça ? Et puis, comment dire ? puis-je tout avouer aujourd'hui ?

LA MERE : Tu es si bien partie, continue, je pensais avoir tout entendu...

IRENE : Et bien, il m'est apparu clairement que j'avais un penchant pour les femmes…

LA MERE (se retournant, catastrophée…) : Et bien, non ! je n'avais pas tout entendu !

IRENE : Mais, Maman ! Devenant homme, je deviendrais un soi-disant " normal " ! mon penchant, connu seulement de moi, paraîtra comme une symbolique tout à fait ordinaire ! Regarde le bon côté des choses : si je reste femme, et que je deviens amoureuse d'une autre femme, c'est de " gouine " que l'on me traitera. Et tu ressentiras la honte sur ta famille !

LA MERE (catastrophée) : Elle est déjà là !

IRENE : En devenant un homme, cette honte n'existera plus !

LA MERE : Mais tu as pensé un peu à nous ? à ton passé de petite fille ? toi qui t'entends si mal avec ton propre frère, il va bien rigolé, c'est sûr !

IRENE : Ce qu'il pense, je m'en moque totalement… Il sera même surpris et vexé lorsque je lui présenterai ma future petite amie…

LA MERE : Ah, parce que…

IRENE : Oui, bien sûr… Elle devrait venir d'ici peu d'ailleurs… Je te la présenterai… Elle s'appelle Claudine… Elle est mignonne à croquer… Notre relation n'est pas encore entamée, mais j'ai bon espoir… Tu verras, ca me fera plaisir de te la présenter…

LA MERE : Ne te sens pas obligée…

IRENE : Mais quand à penser à vous, à la famille, laisse-moi rire ! Papa est toujours en train de compter l'argent que tu dépenses, ce qui fait que Roger et moi, nous n'avons plus grand chose pour nos loisirs ! Alors ma décision est prise, elle est irrévocable, maman !

LA MERE : En fait, tu as déjà pris tes résolutions. Alors pourquoi me dis-tu que tu as un problème !

IRENE : Parce que je ne suis pas totalement inconséquente, je sais ce qu'il va en coûter à toi et à Papa ! Car tu penses bien que la Sécu ne va pas rembourser tous les frais médicaux que risquent d'engendrer cette métamorphose !

LA MERE : Hein ? Et tu as idée de combien ça va nous coûter ? ? ?

IRENE : Non, aucune, mais il va falloir ouvrir le porte-monnaie, c'est clair !

LA MERE : Attends, Irène, réfléchis ! tu es une belle fille ! Pourquoi reprocher aux garçons d'être attirés par toi ! Ce n'est pas de ta faute si tu es superbe comme ta mère... Écoute, abandonne cette idée stupide, et on pourra arranger un mariage avec ton cousin Bertrand, celui qui est en math sup, et qui veut préparer la polytechnique...

IRENE : C'est ça ! Et il comptera le nombre de poils sur mon corps ! C'est la polyclinique que je veux épouser ! Pas la polytechnique ! Je veux devenir un homme ! Pas épouser un binoclard qui a dans son pantalon un crayon et une paire de gommes !

LA MERE : Je t'assure que tu te trompes... Enfin, je veux dire... tu exagères, mine de rien, il n'est pas fait de bois...

IRENE : Ton humour me laisse de graphite, maman... Mais ma décision est prise, j'ai décidé de devenir homme, et homme je serai.

LA MERE : Eh bien non ! I1 n'en est pas question ! Je suis ta mère, et tu deviendras ce que je voudrai que tu deviennes ! Tu n'as pas fait gaspiller à ton père autant d'argent pour tes études pour tout gâcher par une décision hâtive et imbécile. Tu verras bien à la longue que j'ai raison de m'opposer à cela ! File dans ta chambre !

IRENE (sanglotant) : Je ferai ce que je voudrai ! Je ferai ce que je voudrai !

LA MERE : Tu veux devenir un homme ! et tu sanglotes comme une madeleine ! File dans ta chambre !

(IRENE sort, pleurant à chaudes larmes)

Quelle catastrophe ! Quelle catastrophe ! Que va dire son père ! Le connaissant, il l'obligera à mettre le foulard islamique après çà ! Bientôt plus personne n'osera entrer sans esquisser un sourire moqueur ! et en recherchant d'un regard furtif le monstre mutant que deviendra Irène ! Et son psy, qu'en pensera t'il, lui ? Je crois que je ferais bien de lui demander conseil, car, avant d'être son médecin, il était bien son confident.
(elle prend le téléphone, et compose un numéro)
Allô, la clinique " Sans retour " ? Pouvez-vous me passer le psy FALUS, s'il vous plait ? Oui, je patiente...
Allô ? Honoré ? Honoré FALUS ? Oui, vous m'avez reconnu ? déjà ? Pourquoi donc ? Ah, à ma voix nasillarde... Non, non, je ne suis pas enrhumée... C'est toujours comme ça que je parle... Non, ne vous excusez pas, j'ai l'habitude... Écoutez, docteur, j'ai un drôle de problème… ça concerne ma fils, heu, mon fille ; zut ! Je veux parler d'Irène… Oui… Irène, votre filleule, vous vous souvenez ? Comment ? du plus profond de son âme, dites-vous ? Comme c'est touchant !
Eh bien, c'est à dire que, c'est difficile d'en parler au téléphone... Oui ! C'est ça ! J'aimerai que vous veniez ! Rapidement, car le problème court après le temps, ça change du contraire. Vous ne comprenez pas ? C'est pourtant métaphysique comme pensée ! Le temps c'est le problème immatériel qui vous préoccupe toujours, n'est-ce pas ? Vous ne comprenez toujours pas ? Ce n'est pas grave, vous n'êtes que psy, pas philosophe... pensez-vous ! Allez, à plus tard, dans la soirée, je crois que nous aurons une conversation très intéressante, la famille et vous. Au revoir ! (elle raccroche) Qui disait que la vieillesse rimait avec sagesse Ce n'est pas le cas de ce bon psy, apparemment ! (elle se dirige dans la cuisine ; à cet instant, la sonnerie de la porte d'entrée retentit)



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