PIECE DE THEATRE

Vaudeville

par Pierre BRANDAO

HERMAPHRO - DITES ? ? ?

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SCENE 4

LA MERE, CLAUDINE

LA MERE : Déjà là ? ce n'est pas un médecin, c'est Superman !
(elle va ouvrir. Entre en scène une très belle femme, d'une vingtaine d'années, habillée de façon très provocante. D'emblée, Gisèle COURBERT la toise, semblant ne pas apprécier l'intruse) ;
C'est pourquoi ?

CLAUDINE : Je cherche Irène, elle est là ?

LA MERE : Oui, elle est là. Que lui voulez-vous ? Et d'abord, qui êtes vous ?

CLAUDINE : Je suis Claudine, une copine…

LA MERE : Ahhh ! Claudine ! Tout ça c'est de votre faute ! Sortez de chez moi !

CLAUDINE : Pardon ? Qu'est-ce qui se passe ?

LA MERE : Vous m'avez pris mon Irène, vous n'avez pas honte ! Je ne veux jamais revoir votre visage ici, c'est entendu !

(Sur ce, Gisèle ferme violemment la porte d'entrée) .

Non, mais ! Quel culot !

(Elle pénètre dans la cuisine, au moment où la porte principale s'ouvre, laissant le passage à Roger et son père)…


SCENE 5

LE PERE, ROGER

LE PERE : Ce n'est vraiment pas croyable ! Et il a fallu que ça arrive à nous ! Au moment où justement j'avais le plus besoin de sous ! Enfin finis tous ces problèmes de facture, et ces fins de mois difficiles !

ROGER : Écoute, Papa, franchement, vu ce que le gynéco m'a dit, j'ai de moins en moins envie de l'avoir, ce bébé... Ces douleurs dont il parlait, ces vomissements à répétition, ces contractions dont personne ne connaît les sources, ces exercices d'assouplissement et de décontraction, franchement, j'ai peur que cela ne soit pas fait pour moi...

LE PÈRE : Mais voyons...

ROGER : Attends ! Ce n'est pas toi qui risque d'être ridicule lors des séances de groupe de femmes enceintes ! Ce n'est pas toi qui attendra dans une salle d'attente, le ventre gros comme un ballon, en compagnie d'autres femmes qui glousseront de me voir ainsi... Et serait-ce toi qui m'aidera à supporter l'opération de délivrance ? Et une fois fait, m'aideras-tu à changer le bébé dans la salle commune, à lui faire la toilette et les soins, superbement admiré par toutes ces mères attendries, qui une fois le dos tourné riront de cette situation cocasse ! Et pense également à l'avenir de ce petit anormal : on lui demandera : Comment s'appelle ton père ? Et lui dira, innocemment, Roger. Bien, et ta mère, comment qu'elle s'appelle ? Et il répondra, naturellement. Ben, Roger, aussi ! I1 va être la risée de tous, et toi tu seras un grand-père sans belle-fille ! Alors, vois-tu, je n'ai vraiment pas envie de vivre ces situations !

LE PERE : Je comprends tout cela, mais tu oublies une chose primordiale : l'argent achète les solutions des problèmes que l'on peut avoir... I1 te suffit de faire un chèque et hop ! plus de tracas ! Beaucoup de consciences se sont enrichies grâce à ce système !

ROGER : Mais c'est complètement immoral !

LE PÈRE : Je vais te montrer quelque chose...
(il prend une feuille sur son bureau)
C'est mon relevé de compte de ce mois, et regarde cela ce sont les factures à régler : comme tu vois, des tas de choses inutiles que s'offrent ta mère et ta sœur. Là, des poids et haltères (on se demande à quoi ça peut bien lui servir d'ailleurs), ici des affaires de bébé alors qu'hormis toi, nous ne connaissons aucune naissance dans nos relations ; là encore, des choses superflues : rouge à lèvres en trois coloris, fond de teint bronzé (comme si ta mère avait la certitude que ça arrangerait quelque chose) ; bref, tu vois bien, je suis le seul à bosser dans cette maison, et ce pour uniquement payer les plaisirs des autres. Alors, comme tu m'offres l'occasion de rembourser en quelque sorte la dette que tu as envers moi, je la saisis, et je te remercie de contribuer à la sauvegarde financière de la maison...

ROGER : Autrement dit, je n'ai pas le choix ! Je dois choisir ton bonheur plutôt que le mien ! Et bien non ! Je trouve que ce serait trop facile, tu ne peux décider pour moi de ce que sera demain. Le bonheur, c'est simple comme un coup de fil tordu ! Je veux être le maître de mon destin...

LE PERE : Attends, ne t'emballe pas... Regarde encore une fois ce relevé de compte : imagine devant ce nombre six chiffres, mais à la place du moins, un plus... Tu ne crois pas que ça vaut le coup d'essayer ?

ROGER : Tu veux dire, plein de neuf...

LE PERE : Je veux dire... plein de belles mobylettes, de belles motos, de superbes voitures, des filles qui ne désireront que langer ton cher bambin, un phénoménal appartement, ou mieux encore, une luxueuse maison avec piscine, sauna et surtout une vie de rentier comme tu ne la vivras plus jamais...

ROGER : I1 est vrai que ce ne serait pas mal...

LE PERE (ouvrant le placard) . Et puis, attend... Je dois l'avoir par là... Tiens ! Regarde ! Mets ça sous ton pull !
(il prend un ballon de football qu'il tend à Roger) C'est déjà plus réaliste !

ROGER (s'exécutant) : Cà fait un peu trop rond, non ?

LE PERE : Tu n'y connais rien ! Quand les femmes portent devant, tout en rondeur, c'est signe que ça sera un garçon !

ROGER : Ah bon ?

LE PÈRE (sortant un ballon de rugby) . Mets celui-là à la place ; quand elles le portent autour d'elle, oui, c'est ça, c'est que ce sera une fille !

ROGER : Je ne comprends pas... Pourquoi Maman dit elle qu'elle nous a fait dans ton dos ?

LE PÈRE : C'est une autre histoire, qui ne te regarde pas...

ROGER (se regardant) : I1 faut dire que tu as des arguments intéressants. Mais je crains que tu aies plus de difficultés à convaincre maman, car tu la connais, elle a des principes tellement idiots qu'ils se contredisent tout le temps !

LE PÈRE (triomphant et tendant son relevé) : Cette feuille, mon fils, cette feuille sera mon meilleur atout !

ROGER : Tu n'attendras pas longtemps pour t'en servir, voilà maman qui sort de la cuisine...

SCÈNE 6

LE PERE, ROGER, LA MÈRE

LA MÈRE : Qu'est-ce qui se passe ici ! J'entends rire, hurler, grogner, ce n'est pas dans les habitudes de la maison ! Ah ! C'est vous ! Qu'est-ce qui vous prend à discuter autant, ça ne vous arrive jamais ?Alors, c'est encore votre équipe de football qui a perdu un match !

LE PÈRE : Bien qu'il soit question de ballon rond, çà n'a aucun rapport avec le football, n'est-ce pas, Roger ?

LA MERE : C'est vrai que tu me sembles bien avoir grossi ces derniers temps, Roger. Si tu arrêtais d'aller à Mac Donald, tu aurais moins de graisse. Mais pourquoi en parliez-vous ? Trop de cholestérol ? I1 faut pas en faire un drâme, ça se soigne...

LE PÈRE : Cà se soigne, durant neuf mois...

LA MÈRE : Tiens ! Tu me fais penser... Tu connais la meilleure de la journée ?

LE PÈRE : Si je la connais ! Bien sûr !

LA MERE : Comment ? Tu es déjà au courant ? Quand l'as-tu su ?

LE PÈRE : Pas plus tard qu'il y a deux heures ! C'est formidable n'est-ce pas ! Mais je ne savais pas que toi aussi tu le savais ?

LA MÈRE : Je suis quand même sa mère, ne l'oublie pas ! C'est tout à fait normal que mes enfants se confient à moi... D'ailleurs, je tiens à t'avertir, le psy d'Irène vient ce soir traiter le problème, et j'espère qu'il arrivera avec assez de bon sens pour rétablir l'équilibre dans cette famille !

LE PÈRE (regardant son fils, qui semble ne rien comprendre à la situation) : J'ai l'impression que nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes. Crois-moi qu'il serait plus judicieux de profiter de cette situation, et de remplir notre porte-monnaie...

LA MÈRE : Pardon ? je n'ai pas bien compris là ? Tu veux faire quoi au juste ?

ROGER : Moi, j'aimerai bien savoir qui t'a mis au courant... Car à part mon père, je n'ai rien dit à personne...

LA MÈRE : Oh ne t'inquiètes pas, c'est ta sœur qui m'a tout dit.

ROGER : Ma sœur ? Elle ne le sait pas non plus !


SCENE 7

LE PERE, ROGER, LA MERE, IRENE

IRÈNE (entrant en trombe dans la pièce) : Maman, il n'est pas dit que tu auras le dernier mot ! Je te l'ai dit et je le répéte. Ma décision est prise !

LA MÈRE : C'est ça, c'est ça ! Tu en discuteras ce soir avec ton psychiatre ! Honoré passe ce soir !

ROGER : Aie ! Où a t'on mis le mégaphone ?

IRÈNE : Si j'arrive à me faire comprendre de lui, je crois que tu n'as pas choisi la meilleure personne pour me faire changer d'avis...

LA MÈRE : Ne t'inquiètes pas pour lui... J'ai des arguments qui le feront ranger de mon côté...

IRÈNE : Ah oui ? Et lesquels s'il te plait ?

LA MÈRE : Excuse-moi, mais je ne peux pas t'en parler ! Ca serait trop facile !

IRÈNE : Tu peux au moins me donner un détail...

LA MÈRE : Non !

LE PÈRE : J'ai une petite idée, moi... le principal argument doit se trouver dans le porte-monnaie...

LA MÈRE : Tais-toi ! Tais-toi ! Ne dis rien !

LE PÈRE : D'accord ! Mais de quoi parlez vous donc ? Car je n'y comprends rien ! Comment se fait-il que vous soyez au courant du problème de Roger alors qu'il n'a rien dit à personne, hormis moi ?

LA MÈRE : Roger a un problème ? Il veut faire comme sa sœur, devenir un homme ? Lui n'a qu'à attendre !

ROGER : I1 me semble ne pas bien avoir entendu, là ?

LA MÈRE : Non ? Il n'y a rien d'exceptionnel que tu deviennes adulte ; en revanche, ta sœur est devenue complètement folle ! Elle a pris des chromos-hommes, et est train de changer de sexe ! Le meilleur, c'est qu'elle le souhaite ! Alors tu comprendras pourquoi je suis en colère, et pourquoi j'essaie de la persuader de rester la belle fille qu'elle a toujours été.

ROGER : C'est vrai que si elle n'était pas ma sœur...

LE PÈRE (abasourdi) : Cà alors... Cà alors... Mais je rêve ! Ce n'est plus millionnaire que l'on va devenir ! mais multimilliardaire !

LES AUTRES, (ensemble) : Pardon ?

LE PÈRE : Mais oui ! Vous autres, les femmes, vous ne connaissez pas la dernière nouvelle ! Sensationnelle ! Impensable ! Extraordinaire ! Roger, ce petit que vous avez vu grandir, que vous avez vu côtoyer les plus belles filles, dont Fabienne, ce petit va nous mettre au monde un bébé !

LA MÈRE : Comment ça ? I1 s'est marié en secret ? Il ne nous a même pas invité aux noces ? et il est bientôt père ! Je ne te félicite pas, mon fils, je suis extrêmement déçue !

LE PERE : Non, non, pas du tout... Mais je t'épargne tous les détails, pour respecter l'intimité de ton fils... I1 s'est fait engrosser, et le voilà enceint !

ROGER : Merci pour l'intimité préservée…

LA MERE : C'est la journée… Bon, reprenons notre calme et notre sérieux. Nous sommes le premier avril, et vous avez tous décidés de me faire marcher, c'est ça ?

LE PERE : Non, ma chérie, non ! Tout cela est vrai !

LA MERE : Ah, mon Dieu ! Qu'ai-je fait pour mériter cela ! Une fille gouine, un garçon pédéraste ! Pauvre de moi ! qui pensait avoir un bon équilibre familial ! Vivement que le psy FALUS vienne remettre de l'ordre, je vous le dis moi ! Et toi, Roger, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'enceint ? Tu délires ou quoi ?

ROGER : Ecoute, tu veux savoir la vérité ? Viens près de moi et pose ton oreille sur mon ventre... Ca parlera mieux que n'importe quoi d'autre...

IRÈNE : Et moi, je peux ?

ROGER : On la fait payer, papa ?

LE PÈRE : Non, parce qu'il m'est venu une autre idée...

LA MERE : Je ne veux rien entendre de plus ! Je sors... car je crois qu'il va me falloir un très gros argument pour convaincre le médecin de vous faire redevenir raisonnable.

LE PÈRE : C'est ça, sors donc... j'aimerai être tranquille avec les enfants...

(elle sort)


SCÈNE 8


LE PÈRE, ROGER, IRÈNE


LE PERE : Maintenant que nous sommes seuls, j'aimerai savoir une chose Irène ; veux-tu redevenir comme avant ?

IRÈNE : Surtout pas ! Et n'essaie pas de me faire changer d'avis s'il te plait !

LE PÈRE : Je n'en ai pas l'intention, et si Roger m'a compris, il sait là où je veux en venir...

ROGER : Ce n'est plus une attraction, c'est un zoo...

IRÈNE : Que veut-il dire par là ?

LE PÈRE : La seule façon de convaincre ta mère, c'est de mettre ton psy de notre côté... Et la seule façon de le raisonner, lui, ce n'est certainement pas le côté moral qui primera, mais le côté financier...

IRENE : Ca ne me dit pas ce que tu veux faire ?

ROGER : C'est simple, sœurette, Papa veut nous exposer comme du bétail et faire payer un droit d'entrée pour les curieux ! Mais il faut obtenir l'agrément de Maman, et comme elle ne semble pas d'accord, elle est prête à payer Honoré pour qu'il nous convainque à la raison !

IRÈNE : C'est pour cela que maman est partie chercher des sous ?

LE PÈRE : Exactement. I1 est toujours sensible aux donations qui lui permettent d'entretenir les bonnes œuvres dont il a la charge.. C'est pour cela qu'il faut lui donner plus que ta mère...

IRÈNE : Je ne vois pas très bien … où prendre cet argent ?

LE PÈRE : Roger vient de te le dire : il faut profiter de ça (il montre l'entre-deux jambes d'Irène) et de ça (il montre le ventre de Roger) ; notre fortune, c'est là qu'elle repose ! Et ce sont les journaux à sensation qui nous permettront de réaliser vos rêves !

ROGER : Je te rappelle que je n'ai pas le choix...

IRÈNE : Quant à moi, je ne marche pas... Devenir un homme, d'accord, mais je tiens à rester dans le secret, car j'ai des désirs inassouvis qui ne pourront se faire que dans l'incognito...

LE PÈRE : Mais tu t'inquiètes pour rien ! I1 te suffira de porter un masque pendant le temps de ta transmutation, ne laisser apparent que tes yeux et tes cheveux qui sont le signe de ta féminité, afin que nul ne pense qu'il s'agisse d'une supercherie ! Une fois devenue homme, on disparaît tous, riches et tranquilles !

IRÈNE : Un masque... Tu as raison, un peu d'intimité tout de même...

LE PÈRE : Alors, nous sommes d'accord ? Il reste juste à convaincre le psy, et la promesse d'une rente mensuelle devrait lui suffire pour se mettre avec nous...

ROGER : Si tu me promets de t'occuper du môme, c'est d'accord...

IRÈNE : Moi aussi. Mais j'ai une meilleure idée… Je suis bien la seule ici à le connaître assez pour obtenir de lui son assentiment. Laissez-moi faire. Autre chose, comme tu es radin, Papa, j'aimerai savoir combien tu as l'intention de récolter sur notre dos, à Roger et à moi ?

ROGER : 55% ! Je trouve d'ailleurs qu'il exagère...

LE PÈRE : C'est normal : vous êtes hébergés, nourris et blanchis. En plus, il faut convoquer les journalistes, assurer un service d'accueil pour le public, prévoir une assistance médicale importante…

IRÈNE : C'est vrai, papa, tu as raison... Aussi, je crois qu'il serait préférable que l'on prenne, Roger et moi, un autre appartement, et nous nous débrouillerons sans toi... Après tout, on peut s'en occuper nous-mêmes, n'est-ce pas Roger ?

ROGER : Bien sûr, ma sœur, ou... plutôt, mon frère...

LE PÈRE : Non, non, ne vous donnez pas cette peine... en fin de compte, je crois que 30% suffiront pour tout organiser, cela vous va ?

IRÈNE : Cela ne représente que 70% pour Roger et moi, soit 35% chacun, ce qui veut dire pas grand chose ; nous sommes quand même les acteurs principaux non ? moi, je pense qu'on devrait prendre au moins 45% chacun des gains, et toi Roger ?

ROGER : Tout à fait d'accord... Sinon il reste la solution de prendre un appartement ensemble, et de récolter le maximum...

LE PERE : D'accord ! Ca me convient ! Vous êtes ingrat, mais ça me va ! C'est étonnant de voir à quel point vous vous entendez bien dès qu'il s'agit de parler argent ! I1 faut bien que je paye mes factures ! Alors il ne nous reste plus qu'à nous occuper du psy dès qu'il arrivera, et ce que je propose, c'est de laisser votre mère avec lui en premier lieu ; ensuite, nous agirons.

IRENE : Je te l'ai déjà dit, Papa, laisse moi faire !

Tombé de rideau

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