.............Bruno LESAGE
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Le cahier de Bruno

 

Poèmes

SOMMAIRE

L'hiver hirondelle
Bateau chat
Du bleu dans les larmes
Tu as vu
A la guerre
Rêverues
Détachement
Le banquet d'anonymes
La valse d'automne
Petit déjà vu
Souvenirs volatiles

 

 

 

L'HIVER HIRONDELLE


Tu courais
Dans le ciel de la marelle, après les ailes de l'érable,
Et tu posais ton lourd cartable d'hirondelle,
Dans un coin du nuage

Parfois il y a des jours pot de confiture
Faiblesse de mirabelle sur la tartine du soleil
Le vent cuillère à souhait remue son nuage de lait
Ciel crémeux arôme de tes yeux
L'oiseau sur le rebord de ton coeur…

 

 

Tiède caresse derrière la baie vitrée
Pain d'épices épis de ta mèche épris
J'ai la langue sucrée par un baiser au miel
Je t'aime croustille ça fait un peu de miettes
Et tu souris mélancolie d'une abeille solitaire
L'oiseau sur le rebord de ton coeur…

 

Frôlement de paupières
Je prolonge le rêve d'un geste de madeleine
Jeu de murmures
Gelée de mémoire de mûres
J'eus la main sur ton ventre
Jus d'orange
L'oiseau sur le rebord de ton coeur est mort l'année dernière.

 

 

 


Tu courais, pastel dans le feuillage.

Tu tournais,
Farandole à rire pour de vrai
Tournoyais avec les feuilles des grands fauves
Tapie dans l'oreille de l'album
Tu tournais les pages de l'automne.

Tu laissais
Sur l'ardoise, froide et frêle,
Pattes bleues dans la craie en guise de lettres
Un adieu sur la page de neige
Tu laissais ta plume bleue dans l'encrier de l'hiver.

 

 

 

La valse d'automne

 

Si le soleil brillait la nuit, on aurait mis l'orchestre sous la tonnelle...
De toute façon, il pleut,
Il pleut toujours
et le clown pend à l'œil des danseurs comme une goutte de pluie...

 

L'accordéon de poussière des lenteurs ralenties
Effleure la naphtaline des fleurs du tapis
Le lustre ne scintille que d'éphémères bougies
Où le clown se pend d'un sourire d'autrui.

 

Si le soleil brillait mais il tremblote aussi
d'un bleu qui tire au gris le chat sur le fauteuil
Je marche sous la tonnelle, de ce pas qui s'effeuille
Sur le seuil balayé d'un automne alangui.

 

 

Rêverues


D'ailleurs la rue prend les allures
D'ici elle marche d'un fou rire
Puis court à perdre haleine ou sa raison futur
Elle en crie à mourir
Sur le pavé qui rougit
De la voir ainsi nue
Etreindre le peuple dans un suaire subversif

 

La rue meurt en barricade
D'un brouhaha du cœur
Puis le silence entasse les corps
Ou le murmure des fusillés
Dans les non-dit de l'histoire.


Lorsque la rue s'agite d'un soubresaut d'estomac
Le bourgeois, lui, ravi s'extasie
De voir ainsi ses théories prendre vie
Ou des balles dans la panse qui réfléchit
Le pavé vide du livre qu'il écrit.

 

La rue change parfois de trottoir
Lorsqu'elle ne connaît plus le sens de l'Histoire

 

 

A la guerre


A la guerre, on se déchiquette,
On se prend la tête,
On voit même parfois un os faire la quête

 

 

A la guerre, on se mitraillette
On sème et s'émiette
On boit même pantois l'eau de l'escampette

 

 

A la guerre, le corps à la sauvette
On se silhouette
On doit même encore mourir en vedette.

 


BATEAU CHAT

 

Bateau chat ou poisson mouche
Quand le capitaine n'est pas là
Les souris louchent...

 

La belle éclusière raye ses seins
Sous son maillot de marin

 

Puis elle se glisse sous la paupière
Que la mort jaunit d'une rivière.

 

 

Il y a des jours parfois


Il y a des jours parfois.

J'ai envie de mourir, d'abord pourrir des yeux, puis de tristesse aussi.

Ils m'ont dit.

Mer immondice et fils indigne.

Je longe la plage, inerte, la bouche ouverte que les vagues promènent à la lisère de l'écume, les yeux bouffis par le sel. Plume n'écrit plus sur le sable. Bave au coin des lèvres instables.

Rire à l'envol des mouettes à l'envers du décor, à l'endroit, à la mort qui plonge droit son soleil dans l'ombre de mon corps.

Il y a parfois des jours de trop comme un trou dans l'eau vague.

 

 

Du bleu dans les larmes


Peut-être que cet homme marche sans raison, qu'il court même comme un fou jusqu'à l'océan. Déjà les premières vagues ont repris le chemin du ressac et giflent sans égard son visage de sable mais il en ignore le fracas. Cri de mouette que le vent déplace vers d'autres horizons.

A-t-on vu le soleil tremper sa lèvre d'un soir dans la coupe pleine du hasard ? C'est la démarche trop droite du crabe pochard qui lui arrache un rire noir, son écho se perd de l'autre côté du miroir où tremble son reflet au milieu des étoiles.

On n'a pas dit qu'il s'était assis, tassé taciturne sur le sein d'une dune mais il est si bien qu'on le laisse ainsi adossé à sa détresse. Nuit où s'épaissit la courbature de l'âme et puis l'homme rétrécit au point de n'être plus qu'un grain de larme.

Le lendemain offre un autre matin à la promenade, marchent main dans la main, l'homme et la vague, la femme et la plage puis elle s'éloigne ou lui jette à la face des algues d'adieu.

Il court même comme fou jusqu'à sa lueur bleue.

 

 

Tu as vu


D'un songe sans rêveur, tu as fais le poème
Soupir se dit absence,
A chacun de tes vers.
Tu as vu en les fermant les yeux de ta mort.


Serment
Contre ton cœur
Soudain d'un silence moqueur
L'imaginaire éparpille ta langueur
Tu as vu en les fermant les yeux de ta mort.


Chevet chuchotement
Laisser l'ombre lueur
Tel un écho inachevé de la douleur
Tu as vu en les fermant les yeux de ta mort.

Rose taire de transparence
Eclat de ta laideur
Ta main se défait de toi quand je la pose sur mon cœur.
Tu as vu en les fermant les yeux de ta mort.

 

 

Détachements


Dimanche promenade mes yeux dans le vague,
le ciel a gros nuage mais il est si vaste qu'il se détache encore bleu dans la nuance d'un charme calme.

Le ciel a gros nuage sur la colline comme un mouton qu'on égare aigri, troupeau grelots, la pluie, un peu, et puis il pleut même des grêles lourdes sur le toit courbe des arbres qui s'égrainent, remue-ménage dans le pollen, bourrasque à pleine voix du vent plainte qui s'élève le long des troncs pliés des chênes centenaires, qu'on égorge la jugulaire écorce!

Plus un cheveu de sec, comment ai-je peint un tel mélange décoloré de sens ? Couleurs qui larment sur la toile, visquent flou le long du cou du cheval fou et flaquent en une boue flotte sous ses pas en forme de fer ou d'arc-en-ciel.

Je plie, je pleure mon matériel de pinceauteur du dimanche pour un café esclaffé de chaleur.

Les hommes parlent la bouche pleine d'alcool comme les yeux rouges que cerne la démence. A quoi bon y prêter attention ? Ils sont une chaîne dans la cadence des boulons, ils causent de femmes, de grèves et d'ailleurs, il est question de guerre mais en quoi me concerne-t-elle ? Je me détache d'eux comme une pierre dans un mur.

Et puis il pleut même des grêles lourdes sur les branches des maisons, un coup de canon, tonnerre, un nuage de poussière, des morceaux de cartons, un fragment de caleçon, un pan de travers qui s'abat sur la tête, du sang aussi des miettes et des éclats de vers sous la casquette, le poète roule sous la table des pochtrons.

Dehors, les ouvriers qui résistaient sont mis contre le mur d'où manque une pierre polie, la pierre du lâche qui plie, qui pleure encore ses crayons, sa gomme et ses points de suspensions.

Les taches des corps fusillés méritaient peut-être mieux que nos vaines causeries de salon.

 

 

Le banquet d'anonymes

 

Un plat de nouilles consonnes pour ces bouches pleines de muets, la table où s'additionnent mes convives sans voyelle.

Pythagore dessine une vague orthogonale sur le quadrillage de la nappe, il s'ennuie forme et sa soupe refroidit. Passez-lui donc l'isopoivre pour qu'il relève l'angle de ses lèvres, qu'il change peut-être de grimace : symétrie axiale se dit soudain sourire et tous tirent des langues d'Einstein de rire.

La cuillère définit des va-et-vient proportionnels à notre faim.
Lorsque la main tremble, c'est une tache sur la serviette, sur la chemise ou pire sur la copie. Etrange impression de passer un examen.

Quelqu'un rompt le pain avec l'ardeur d'un bûcheron et ça miette du logogramme dans le lexique de la corbeille.

Retour du verre à pied dans son pavé d'immeubles. J'oublie peu à peu ce banquet d'anonymes pour ce murmure qui adoucit mes rêves : " nous nous plûmes oiseau dans une vie antérieure ".

Frôlement d'elle sur un ciel " oreillé ".


 

Souvenirs volatiles

 

Nous étions forcément les mêmes avec la patte à bec d'empreintes sur la page d'un square parisien. Nous tournions dans le sens de l'aiguille de la honte, certains remuaient la Une en guise d'aileron et d'autres picoraient les graines d'un brouillon.

Un kiosque à mélomanes abritait nos cantates, nos candides ébats, nos débats et nous bûmes… à cracher dans le sang la neige de nos âmes.

La plume le recouvre d'un froid linge d'azur.

Parfois la patte à bec d'hématomes sans fin, ring à coq, anicroche, uppercut suprême et la volière dansait sous l'œil attendri du cadavre rafraîchi.

La plume le recouvre d'un froid linge d'azur.

Et puis près des corbeilles à poèmes sandwichs, patte à bec à gaz, on brûlait d'un ennui...
Les filles tourterelles se vendaient en sachet.

Et je l'ai vue pleurer, la nuit nue sur les lèvres,
Je lui tenais la main muette,
Un sourire de statue.

Entre ses cuisses humides, sa rose s'évaporait.

La plume la recouvre d'un froid linge d'azur.

Au petit matin frais, rai de lune anonyme, patte à bec dans l'eau des pétales de brume
Nous dansions volatiles pour la dame qui s'émiette.

Méfiants, nous gobions graines et grappes lointaines,
D'un pas de gramme à peine, nous étions près des mains naphtalines,
Soudain, ses doigts cassèrent le silence d'un geste de cou que l'on brise.

La plume nous recouvre d'un froid linge d'azur.

 


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